Route Coutances‒Saint-Lô : on marche sur la tête !

On aurait pu penser que le grand projet de liaison Saint-Lô‒Coutances mis en concertation en 2004 puis en 2007 était abandonné. Depuis 15 ans, les mentalités ont évolué, les certitudes d’alors ont été confrontées à la réalité du réchauffement climatique et du déclin alarmant de la biodiversité, les COP internationales suscitées par les rapports de plus en plus inquiétants du GIEC* ou de l’IPBES* ont amené les états à promettre de réorienter les politiques. Nos chefs d’État l’ont dit, une majorité de Françaises et Français y sont prêts, les jeunes l’ont hurlé dans les rues… Mais non, nos élus départementaux sont toujours sur le même schéma. Ils n’ont pas d’autres idées pour dépenser l’argent public !

Certes, au lieu de 2 × 2 voies on ne prévoit que 2+1 voies. On va toujours dans le mur, mais un peu moins vite !

Voyons les arguments :

Dossier de concertation (Conseil départemental)

Ce projet d’aménagement à 3 objectifs :
réduire le nombre d’accidents,
réduire les temps de parcours
et désenclaver le territoire coutançais pour renforcer son attractivité économique et touristique.

1. réduire le nombre d’accidents

C’est un axe accidentogène. Il y a eu 43 accidents en 10 ans, entre 2009 et 2018, 5 tués et 33 blessés hospitalisés. Donc il faut faire quelque chose, d’autant qu’à certains endroits, à l’entrée de Coutances et à l’arrivée du Saint-Lô, on atteint près de 14 000 véhicules par jour”, explique le président Jean Morin. (Source : France Bleu)

Qu’il y ait des aménagements à faire pour sécuriser les déplacements, pourquoi pas, mais est-ce en augmentant la vitesse de 30 km/h ainsi que le trafic par un « appel d’air » inévitable au détriment des autres routes que l’on y arrivera ?

Il est surprenant que le projet s’appuie sur la prévision d’une augmentation globale de trafic de 15 % d’ici 2030 par rapport à 2018, puis de 10 % entre 2030 et 2050 (étude du trafic p.57) quand les scénarios pour rester en deçà des 2 °C de réchauffement climatique nous demandent de réduire nos déplacements !

Comment à l’heure du problème de l’explosion des émissions de CO2 liées pour la plus grande part au trafic routier, peut-on proposer un « aménagement » pour davantage de circulation en augmentant la vitesse à 80 à 110 km/h ?

Ne pourrait-on pas réfléchir à limiter le trafic pendant les heures de pointe en étudiant la possibilité d’étaler les heures de début et fin de travail dans les principales entreprises et administrations ?

2. réduire de temps de parcours

On estime un gain de 6 à 7 minutes en moyenne et en heure de pointe, même si ce n’est pas notre objectif premier”, assure Olivier Thirion, directeur des Infrastructures et de l’Entretien routier au conseil départemental de la Manche. (Source : France Bleu)

Le gain estimé de 6 à 7 min est pour le moins fantaisiste. Si on fait le calcul sur les 25 km annoncés, à vitesse constante de 80 ou 110 km/h, l’écart n’est que de 5 min et tout le monde sait que l’on ne peut jamais rouler à vitesse constante d’autant plus qu’il y aura des giratoires et autres échangeurs !

Un tel projet va à l’encontre de ce qu’il faudrait faire, car le trafic routier serait encouragé et développé. Ainsi la notion de « trafic induit » démontre que plus on rajoute de voies routières, plus on augmente le trafic routier.

3. désenclaver le territoire coutançais

Il s’agit aussi de désenclaver le Coutançais, de renforcer son attractivité touristique et économique et de faciliter les échanges entre les deux villes, notamment pour les hôpitaux. (Source : France Bleu)

Le mot « magique » est lâché ! DÉSENCLAVER… À partir de là, tout est permis !

Pourtant, il ne faut pas se faire d’illusions. L’attractivité économique se fait au détriment d’autres petits bourgs qui voient leurs entreprises partir pour de nouvelles zones commerciales ou artisanales plus attirantes. C’est déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Ainsi on installe la compétition entre différents territoires, alors qu’il faut promouvoir la coopération et la complémentarité.

Parler des échanges entre Coutances et Saint-Lô, notamment pour les hôpitaux est pour le moins surprenant quand on constate la fermeture de tant de services de santé à Coutances ces dernières années (maternité, médecins spécialistes…). Il faut aller de plus en plus loin pour se faire soigner. Est-ce parce que l’on a fermé la cuisine de l’hôpital de Coutances et que les repas sont livrés depuis Saint-Lô que l’on justifie tous ces travaux routiers ?

Où est la cohérence ?

Relocalisons un maximum d’activités au plus près des besoins.
Développons des services de santé là où les gens habitent.
Organisons les transports en commun, modernisons le rail, aidons le covoiturage, augmentons le télétravail, etc.

Quant à « recalibrer » la route vers Tourville-sur-Sienne, est-ce pour favoriser Agon-Coutainville ? Y a-t-il des intérêts pour certains ? Pourquoi pas vers les autres communes littorales, Gouville, Hauteville, Pirou…

Cela va encore augmenter la pression immobilière de zones côtières fragilisées où les jeunes ont beaucoup de mal à trouver à se loger. Et cela se ferait à nouveau au détriment des communes situées entre Coutances et Saint-Lô qui vont payer le prix fort en matière de perte de terres agricoles et naturelles, de paysages défigurés et de pollutions diverses.

Vous avez dit développement durable et transition écologique ?

Que fait-on pour la transition écologique dans le département ? Où sont passés les grandes promesses faites lors des conférences internationales sur le climat et biodiversité ?

Quand va-t-on écouter les scientifiques du GIEC* et de l’IPBES* qui nous crient qu’il y a urgence et donc réorienter en conséquence nos politiques ?

Quand est-ce que nos élus vont ouvrir les yeux et sortir de ce déni mortifère ? On ne peut plus continuer comme si de rien n’était.

A-t-on une idée de la quantité de CO2 qui serait émise rien que pendant les 5 à 8 ans de travaux pour la réalisation d’un tel projet ? Le terrassement sur des dizaines d’hectares, le déplacement de milliers de tonnes de terre, l’extraction des cailloux et autres granulats, le transport, la fabrication du ciment pour les « ouvrages d’art » et le mur de séparation des voies, etc.

Et l’impact des travaux connexes, des nouvelles voies, des désertes locales, des échangeurs, des rond-points…

Comme ci cela ne suffisait pas, on prévoit une route avec chaussées séparées par un « muret » en béton comme déjà réalisé sur les voies à 110 km/h du département ! C’est un non-sens évident du point de vue de la préservation du vivant. Ces obstacles sont infranchissables pour nombre d’espèces de mammifères, d’invertébrés et la totalité des amphibiens. Non seulement ils ne peuvent pas traverser mais les risques de se faire écraser sont décuplés car ils cherchent en vain un passage qui n’existe pas. C’est lamentable !

Extrait du dossier de concertation du Conseil départemental

Arrêtons de détruire les espaces agricoles et naturels, de fragmenter les habitats des différentes espèces, de supprimer les zones humides, les haies et talus, de détruire notre paysage et notre milieu de vie…

Vous avez dit concertation ?

Le projet d’axe routier de Saint‐Lô‐Coutances est concerné par l’article L.103‐2 du code de l’urbanisme : « Font l’objet d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées :
1° L’élaboration ou la révision du schéma de cohérence territoriale ou du plan local d’urbanisme ;
2° La création d’une zone d’aménagement concerté ;
3° Les projets et opérations d’aménagement ou de construction ayant pour effet de modifier de façon substantielle le cadre de vie, notamment ceux susceptibles d’affecter l’environnement, au sens de l’article L. 122‐1 du Code de l’environnement, ou l’activité économique, dont la liste est arrêtée par décret en Conseil d’État ;
4° Les projets de renouvellement urbain. »

Il semble que « l’élaboration du projet » est terminée et on nous dit même qu’un « tracé préférentiel » a déjà été choisi. On est loin de la concertation « pendant toute la durée de l’élaboration du projet » !

Vous avez dit compensation ?

« les compensations de zones humides, effectuées sur des terres agricoles, au détriment de leur valeur agronomique, sont également source d’inquiétude de la part des exploitants. Les sites de compensation seront recherchés dans l’optique d’une limitation de cet impact foncier agricole. »

Est-ce à dire que l’on va « compenser » les zones humides impactées en en créant de nouvelles sur des terres agricoles ? À coups de pelleteuses et de bulldozers, le « génie écologique » ne recule vraiment devant rien !

Quand on connaît les conséquences de la crise climatique, de la disparition du vivant et l’envolée des prix de l’énergie, gaspiller quelque 80 millions d’euros pour un tel projet climaticide est insensé et irresponsable !

Mobilisez-vous pour dire non à ce projet insensé. Vous avez jusqu’au 11 mars.
Registre de la concertation en ligne (clic : ouverture d’une nouvelle fenêtre)

Sources :

(clic : ouverture d’une nouvelle fenêtre)

https://www.manchemag.fr/2022/01/amenagement-route-st-lo-coutances-diagnostics-initiaux/

https://www.manchemag.fr/2022/01/amenagement-route-st-lo-coutances-dossier-concertation/

https://www.francebleu.fr/infos/transports/route-saint-lo-coutances-le-departement-de-la-manche-lance-une-concertation-1643110250

Vidéo officielle du projet. C’est pas rassurant !

*IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) : https://www.ipbes.net/fr

*GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) : https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/

(clic ici : retour en haut de page)

Share Button
Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés