Plages de galets : halte au pillage !

La pittoresque et très touristique vallée du Lude, qui entaille le massif de Champeaux à Carolles, est un site très fréquenté en toute saison. L’embouchure de ce petit fleuve côtier est encaissée entre les falaises et la plage est entièrement recouverte de galets, paysage magnifique, rare sur notre littoral. Or voilà quelques années, nous avons constaté que des visiteurs avaient pris la fâcheuse habitude de venir s’approvisionner en galets, ce qui à la longue risquait de mettre en péril cet habitat précieux entre tous (Code Natura 2000 : 1220 Végétation vivace des rivages de galets). Nous avons donc pris contact avec les municipalités de Carolles, Champeaux et Saint-Jean-le-Thomas, afin de les alerter sur les menaces pesant sur ce patrimoine naturel et nous leur avons demandé d’afficher aux principaux accès un panneau rappelant les interdictions légales de prélèvement de matériaux sur le littoral. La réaction des trois communes a été très positive mais seule la commune de Carolles a jugé utile d’implanter un panneau au parking de la vallée du Lude.


Ce panneau est resté en place plusieurs années sans que l’on puisse en mesurer avec exactitude l’efficacité. Et puis, de retour sur le site après une longue période à l’occasion d’une animation naturaliste, j’ai constaté que le panneau avait disparu, mais aussi j’ai ressenti l’impression amère que la plage s’était amaigrie. Renseignement pris auprès des locaux, le panneau aurait été vandalisé et personne n’a cru bon de le restaurer. Il faut croire que cet affichage gênait certaines personnes peu scrupuleuses.

La loi est pourtant très claire sur ce sujet et nul n’est censé l’ignorer. Il suffit de poser la question sur Internet et les réponses sont explicites. Quelques extraits :

Vous avez l’intention de rapporter de vos vacances des galets pour refaire votre salle de bains ou agrémenter votre jardin, ou du bois flotté pour décorer votre intérieur ? Attention, il existe une réglementation qui protège l’écosystème fragile des littoraux, avec des amendes pour atteinte au domaine public pouvant être très élevées.

L’usage des plages est libre et gratuit selon le Code de l’environnement. Cependant, y ramasser du sable, des galets ou des coquillages comme souvenirs de vacances est une pratique fragilisant les littoraux qui est encadrée par la loi avec des amendes pour les contrevenants.

Sur une plage, les galets protègent la faune et la flore de la houle et de l’érosion. Les amas de galets empilés sont à la mode mais ne sont pas sans danger pour l’écosystème du littoral. Le glanage de galets peut coûter une amende de 1 500 €.

Extrait de : https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15848

Oh ! Bien sûr, cette pratique ne date pas d’hier.

Elle remonte au moins à la fin du XVIIIe siècle et à partir de 1900 le ramassage de galets est devenu une activité économique importante, particulièrement en Haute-Normandie. Le port du Havre en exportait des bateaux entiers vers les États-Unis ou le Japon ! L’exploitation fut si intense qu’elle mettait en péril cet habitat et c’est pourquoi l’on décida d’y mettre un terme : en 1975, le ramassage des galets est enfin interdit. Mais le développement du tourisme balnéaire a provoqué un afflux énorme de touristes français ou étrangers qui, feignant d’ignorer la loi, ont pris le relais avec de plus en plus d’avidité. Il faut savoir que la petite station d’Étretat accueille chaque année plus d’un million de touristes et que le volume de galets enlevés de manière illicite est évalué à 400 kilogrammes par jour !!! Il faut dire que les « voleurs » sont rarement verbalisés bien que la municipalité ait pris un arrêté les condamnant théoriquement à 90 euros d’amende.

Bien entendu, toutes les régions qui possèdent ce type de littoral sont concernées par ce fléau.

En Bretagne par exemple, sur la commune de Plougrescant, le Conservatoire du Littoral affiche en français et en anglais des recommandations, d’ailleurs plus pédagogiques que menaçantes : Merci de ne pas prendre de galets, le stock est épuisable et le prélèvement nuisible au milieu naturel. La liste serait longue et au cours de nos voyages dans le Sud de l’Europe, nous avons maintes fois constaté ces délits environnementaux. Ainsi en Crète, des touristes allemands, adeptes du naturisme et jaloux de Robinson Crusoé, édifient sur ces plages des murets et des abris au point de faire apparaître le sable, détruisant ainsi un habitat patrimonial.

« Merci de ne pas prendre de galets, le stock est épuisable et le prélèvement nuisible au milieu naturel.« 

affichage sur la Plage de Plougrescant (Côtes d’Armor)

Car ces milieux, certes peu confortables pour le dos des baigneurs, ont une valeur paysagère indéniable. Certains sites sont fameux comme le sillon de Talbert dans les Côtes d’Armor. Chez nous en Cotentin les plages de galets contribuent au caractère pittoresque des falaises de la Hague (voyez la photo de notre couverture, prise à Vauville). En Haute-Normandie, le cordon de galets constitue une irremplaçable protection naturelle contre l’érosion et les assauts des tempêtes. Mais aussi et surtout, les cordons de galets abritent une flore et une faune spécifiques, des espèces rares et parfois protégées.


C’est le domaine privilégié du chou marin Crambe maritima (protection nationale), de la criste marine Crithmum maritimum ou du pourpier de mer Honckenya peploides pour ne citer que les plantes les plus spectaculaires. C’est ici également que le grand gravelot peut dissimuler sa ponte. Moins connus, des invertébrés vivent cachés dans les interstices des galets, araignées, cloportes, amphipodes, myriapodes, insectes… Pour certains c’est même leur habitat exclusif ! C’est le cas du crustacé isopode Halophiloscia couchi et du grillon maritime Pseudomogoplistes vicentae, présent notamment en Normandie armoricaine et en Bretagne. Les falaises de Carolles / Champeaux abritent – mais est-ce toujours le cas ? – l’une des plus belles populations mondiales de la sous-espèce septentrionalis du grillon maritime.


Un site menacé par les prélèvements illicites de galets : le Port du Lude à Carolles
(Photo prise en 2004, Alain Livory)

Certes, la diminution des cordons de galets a aussi des causes naturelles en relation avec les changements dans les courants et les vents dominants. Mais la principale raison c’est l’incivisme d’une foule de gens soucieux d’embellir leur jardin, leur salle de bain ou leur cheminée. « On en a pris quelques-uns en souvenir, même si on sait que c’est interdit. Ramasser un galet ponctuellement, ce n’est pas non plus un gros crime« , dit un vacancier d’Étretat. Mais il ignore sans doute qu’il participe aux 400 kg de galets prélevés quotidiennement sur cette plage mythique ! Les dégâts sont d’ores et déjà irréversibles dans certains sites surfréquentés.

À Carolles, le rarissime grillon maritime pourrait disparaître à moyen terme. Les municipalités doivent être plus vigilantes, développer l’information par des affiches, panneaux et articles de presse, et ne pas hésiter à sanctionner les voleurs de galets. L’activité touristique dépend aussi de la valeur paysagère et de la richesse de la biodiversité.

Alain LIVORY

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