L’intérêt écologique et paysager de la côte sableuse du Cotentin n’est plus à démontrer avec ses havres, formations naturelles originales, et ses magnifiques massifs dunaires. Rappelons que la loi Littoral a été mise en place avec l’objectif de préserver l’ensemble des habitats d’intérêt communautaire ou national qui font cette richesse, tout en permettant aux communes de se développer au-delà de ces zones protégées et en extension des bourgs existants.
Pourtant, la municipalité de Portbail a perçu cette richesse écologique et la loi qui la protège comme des contraintes susceptibles de gêner ses ambitions démesurées d’expansion !
Face à cette obstination et après de nombreuses interventions et conseils, Manche-Nature a dû mener un combat juridique de longue haleine. Afin de bien faire comprendre nos motivations et les tenants et aboutissants, nous vous proposons ici de parcourir l’ensemble des différentes étapes de ce dossier important.
Historique
Révision du POS
Dans les années 2000, la commune de Portbail a lancé la révision de son POS et sa transformation en PLU, avec pas moins de trois gros projets contestables : un port, un lotissement au sud de la commune sur des milieux humides abritant des batraciens protégés, un centre de remise en forme avec résidences hôtelières et de tourisme en bordure immédiate du littoral dans une zone non urbanisée.
Manifestement très pressée au sujet de ce dernier projet, le Domaine des pins, la commune avait adopté une « révision simplifiée » (et donc accélérée) pour ouvrir à l’urbanisation cette portion de la bande littorale des 100 m. Ceci malgré le courrier du préfet de septembre 2008 indiquant à la commune que ce secteur était inconstructible au regard de la loi Littoral. Nous avions également eu l’occasion d’informer la commune de l’illégalité de ce projet.
Sa position littorale et le fait qu’il recèle des dunes fixées à fortes potentialités en fait un espace du littoral à préserver de l’urbanisation.
Rappelons en effet que l’habitat constitué par les dunes fixées est l’un des plus riches en Europe en termes de biodiversité. Sous une apparente monotonie, la dune fixée abrite en réalité des centaines d’espèces végétales et animales. C’est la raison pour laquelle elle fait partie des habitats communautaires qualifiés de prioritaires par la directive européenne Natura 2000. L’ensemble des massifs dunaires du Cotentin est unique en Europe. Leur préservation contre le grignotage est dès lors nécessaire et c’est l’un des objectifs de la loi Littoral. Son efficacité est conditionnée par son respect.
Nous avons évidemment engagé un recours contre cette révision simplifiée, le 23 décembre 2009.
La réaction du maire de Portbail fut particulièrement virulente : mettant en cause Manche-Nature en invoquant des « autorisations » qu’il n’a jamais eues. Voir notre article « Manche-Nature répond au maire de Portbail ».
Voici un diaporama de différentes vues du Domaine des pins, complètement grillagé et où il nous est donc impossible de faire un inventaire naturaliste. On notera également le fort risque de submersion marine. (cliquer sur la photo pour changer de vue)
Permis d’aménager le complexe touristique
Sans attendre le jugement du TA, le permis d’aménager du Domaine des pins était malgré tout délivré le 1er décembre 2010 par le maire : complexe touristique de luxe en bordure du littoral à Portbail, composé d’un hôtel, d’une résidence de tourisme, d’une balnéothérapie-spa et des inévitables parkings.
Manche-Nature déposait donc, le 28 janvier 2011, un recours devant le Tribunal administratif de Caen contre ce permis d’aménager.
Révision du POS annulée par le TA
Quelques jours plus tard, le 18 février 2011, le Tribunal Administratif annulait la révision du POS qui avait eu pour but de permettre la délivrance d’une telle autorisation.
Le Tribunal juge que cette extension de l’urbanisation n’est pas « limitée », en violation de la loi Littoral. Il relève en effet que le POS permet l’installation de 13 750 m2 de SHON et l’installation de bâtiments collectifs, de construction à usage commercial, alors que les zones urbanisées les plus proches sont de type « pavillonnaire ». (Décision du TA du 18-02-2011)
S’agissant d’un gros projet d’aménagement, l’annulation a fait grand bruit dans les médias locaux : journaux, radio et télé ! Quelques extraits de la presse écrite de mars 2011.
Manif anti Manche-Nature
Suite à ce jugement, une manifestation anti-Manche-Nature a été organisée le 23 juin 2011 à Portbail sous l’impulsion notamment des responsables de l’office du tourisme. Manif évidemment mal dirigée, puisque ce que contestaient en réalité ces gens-là, c’est le Tribunal administratif, l’état de droit, le droit de recours constitutionnellement protégé, la loi adoptée par le Parlement, etc.
Bref, une manif contre la démocratie. Pour tous arguments, les manifestants déployaient des slogans tous plus fins les uns que les autres : « Non aux con-tre tout », « Manche-Nature = préservatif pour les générations futures », la palme du brut de décoffrage revenant à « Oui à l’écologie, Non à la connerie ». Tellement judicieux qu’un cliché reproduisant cette magnifique banderole a été sélectionné pour illustrer l’éditorial en 1ère page du bulletin municipal sur le sujet. Affligeant !
Manche-Nature a réagi à la bêtise par l’explication : nous avons diffusé dans toutes les boîtes aux lettres un courrier explicatif et un communiqué a été envoyé à la presse.
La commune s’entête avec son PLU
En avril 2013, la commune de Portbail présente à l’enquête publique un invraisemblable projet de PLU révisé comprenant : un projet portuaire au sein des espaces remarquables du littoral, strictement protégés ; un énorme projet de parc résidentiel de loisirs dans les dunes ; le maintien du projet de complexe touristique du domaine des pins en zone submersible ; l’urbanisation sur des habitats d’espèces protégées (amphibiens) ; une vaste zone commerciale…
Vous pouvez lire les observations de Manche-Nature lors de l’enquête publique et aussi la lettre d’Alain Livory au commissaire enquêteur dans laquelle il exprime l’avis des naturalistes de notre association.
Approuvé en juin 2013, le PLU a fait l’objet d’un recours porté conjointement par Manche-Nature, le GRAPE, Mieux vivre à Portbail, et deux habitants de Portbail, principalement en raison de la présence de l’invraisemblable zone portuaire de 500 emplacements dans un espace remarquable du littoral. (Avis du CSRPN)
Voir l’article « Un site littoral menacé par un projet portuaire »
Voici différents milieux du site de Sainte-Marie voués à disparaître si le projet de port avait abouti. (cliquer sur la photo pour changer de vue)
En plus, le PLU prévoit : une extension de l’urbanisation démesurée (incluant le Domaine des pins), partiellement sur des milieux naturels dunaires ; un projet de parc résidentiel de loisirs en milieu dunaire, soi disant pour résorber les zones de mobile-homes illégales ; l’extension d’un village de vacances sur des milieux naturels ; une immense zone artisanale excessivement consommatrice d’espaces ; etc. C’est inacceptable !
Tout cela est contraire aux diverses exigences de la loi Littoral, à l’esprit de la Charte de l’Environnement et au simple respect de la nature.
L’illégalité du POS confirmée en appel
La commune avait fait appel du jugement TA de Caen du 18 février 2011 qui avait annulé la zone du POS concernant le Domaine des pins. La Cour administrative d’appel de Nantes, dans un arrêt du 12 juillet 2013, confirme le jugement pour les mêmes motifs, à savoir que l’extension de l’urbanisation dans ce secteur n’est pas « limitée ». Le rapporteur public rappelle dans ses conclusions que, bien que le secteur soit situé dans un quartier urbanisé, le terrain présente un relief de type dunaire demeuré largement naturel. La qualification d’espace remarquable du littoral est donc justifiée. Il ajoute également que deux autres moyens conduisent à l’illégalité de la délibération : le défaut de motivation de la demande au préfet et le défaut de motivation de l’avis de la commission départementale de la nature et des sites. (Décision de la CAA du 12-07-2013)
Obstinée, la commune se pourvoie en cassation devant le Conseil d’État.
Le Permis d’aménager le Domaine des pins annulé
Dans son jugement du 7 novembre 2013, le Tribunal annule le permis d’aménager. Il maintient que le projet sur 5,5 ha, comportant 13 800 m2 de SHON, un village de vacances, etc. ne peut être regardé comme une extension « limitée » de l’urbanisation. (Décision du TA du 07-11-2013)
La commune échoue devant le Conseil d’État
Par un arrêt du 14 février 2014, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi de la commune en confirmant la violation de la loi Littorale sanctionnée par le TA de Caen, puis la Cour d’appel de Nantes. La révision simplifiée du POS de Portbail du 3 novembre 2009, destinée à permettre l’aménagement du domaine des Pins, est définitivement annulée.
Annulation du PLU
Par jugement du 3 décembre 2014, le Tribunal Administratif de Caen annule, pour les mêmes raisons, le PLU approuvé le 18 juin 2013. (Décision du TA du 03-12-2014)
Le Tribunal a constaté l’illégalité de la quasi-totalité des aménagements que nous dénoncions. Il s’agit des aménagements les plus « impactants » sur les habitats naturels :
- Le premier, et le plus destructeur, est le projet portuaire dans le secteur de Sainte-Marie, porté par le département de la Manche (!) pour au moins 500 places.
Les services de l’État dans le département, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel et les associations de protection de la nature et de l’environnement ont, tout au long de l’élaboration du PLU, informé la commune du caractère remarquable de ce secteur, indissociable de l’ensemble du havre. Voir l’article de présentation du site par Alain Livory.
Malgré ces alertes, la commune s’est entêtée et a cherché à contourner la loi Littoral en dissociant le secteur de Sainte-Marie du reste du havre. Le CSRPN, sollicité pour avis, avait pourtant précisé qu’à l’échelle de l’ensemble du havre de Portbail, l’espace concerné [le secteur de Sainte-Marie dans son ensemble] constitue une des dernières zones estuariennes marquées par un fonctionnement naturel, notamment au niveau hydro-sédimentaire et des successions végétales présentes. Il représente un des derniers éléments dynamiques de l’entité fonctionnelle globale que constitue le havre de Portbail.
Il va sans dire que la commune était dans l’incapacité de démontrer l’absence d’intérêt écologique ou l’absence d’incidences du PLU sur l’ensemble du site et du havre.
Le Tribunal ne s’est pas laissé manipuler par cette façon de faire et a reconnu le caractère remarquable du « cœur du site » et donc du site dans son ensemble. - Le deuxième aménagement prévu était le projet de Parc résidentiel de loisir sur une surface de 14,5 ha dans le massif dunaire. Il s’agissait d’implanter des mobile-homes constituant de véritables habitations secondaires. Cette urbanisation masquée s’accompagne évidemment, et selon les orientations du plan de la commune, de voies d’accès et de circulation, d’aires de stationnement et d’espaces publics pour l’aménagement d’équipements sportifs et de loisirs. Autrement dit, c’était la destruction programmée de 14,5 ha de dunes !
- Le troisième aménagement concerne encore le projet de complexe touristique sur le secteur dunaire du Domaine des pins. Malgré les jugements précédents, la commune a maintenu ce projet dans son nouveau PLU en prétextant le respect de la loi suite à une modification mineure des règles d’urbanisme (modeste diminution du coefficient des sols) ! Le Tribunal ne s’y est pas laissé prendre.
Il convient d’ajouter que ce même secteur situé en front de mer est, comme le Parc résidentiel de loisir, soumis à un très fort risque de submersion marine. D’ailleurs, les événements de l’hiver 2014 et le recul important du trait de côte ont conduit le Préfet à établir un plan de prévention des risques littoraux sur la commune de Portbail et en particulier pour ce secteur.
Morale de l’histoire
C’est donc pleinement informée que la municipalité de Portbail s’est entêtée à vouloir choisir ces secteurs pour la réalisation de ses projets. Toute cette énergie aurait pu servir les intérêts de la commune et de l’emploi en cherchant des solutions adaptées, dans le respect des lois et dans le souci de protéger un patrimoine naturel inestimable. La commune est donc seule responsable des blocages.
Le maire a-t-il fini par comprendre ? On peut l’espérer puisque la commune n’a pas fait appel de ce jugement, néanmoins elle a tout de même pris contact avec Manche-Nature pour tenter sous couvert de dialogue constructif, de lui faire renoncer à ce qu’elle avait obtenu en justice !
Nous sommes évidemment heureux d’avoir réussi, à force de persévérance, à faire respecter les lois et ainsi protéger ces milieux naturels si riches et fragiles. Espérons que cette richesse sera reconnue et appréciée par le plus grand nombre et préservée à jamais. Face à l’effondrement planétaire de la biodiversité, nous avons tous une obligation morale à la respecter.