Le goéland pleure sur l’hypocrisie de l’État

« Make our planet great again » a lancé notre cher Président de la République en juin 2017, lorsque les États-Unis ont annoncé leur retrait des accords de Paris. Emmanuel Macron a sans contexte l’image d’un écologiste convaincu sur la scène internationale. N’a-t-il pas reçu le titre de “Champion de la Terre”, un prix décerné par le programme des Nations Unies pour l’environnement en 2018 ? (1)

Nous pouvons dire que la rentrée de notre Président en matière d’écologie (sur le plan international toujours) est particulièrement réussie. En effet, son discours lors de la cérémonie d’ouverture du Congrès Mondial de l’IUCN était très prometteur : préservation des sols vivants, protection de 30 % des espaces marins à l’horizon 2027, une sortie accélérée des pesticides sous la présidence européenne de la France, lutte contre la déforestation en Amazonie, éducation/sensibilisation à l’environnement, organisation du One Ocean Summit… Le président s’est également enorgueilli que la France ait accueilli cette année deux événements majeurs pour l’écologie : le One Planet Summit en janvier et ce Congrès Mondial de l’IUCN. Ce congrès était sans conteste une répétition générale avant la COP15, événement qui promet d’être un vrai tournant pour la préservation de la biodiversité et se déroulera en Chine (2).

Quelques mots sur ce congrès :
L’IUCN, en français UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), est une ONG dédiée à la Conservation de la Nature et elle est principalement connue pour définir la célèbre Liste Rouge des espèces menacées. Lors de ce congrès, qui s’est déroulé du 3 au 11 septembre à Marseille (plusieurs fois repoussé en raison de la crise sanitaire), l’IUCN a notamment présenté sa Liste Rouge actualisée.
ATTENTION SPOIL : cette liste s’allonge et elle est de plus en plus alarmante ; sur les 138 374 espèces étudiées, 38 543 sont classées menacées (3). Mais ce qui est encore pire, c’est que les espèces étudiées ne représentent qu’environ 7,6 % des espèces connues, et que nous sommes très loin d’avoir découvert toutes les espèces vivant sur notre chère planète ! En effet, si 1 823 983 espèces sont connues dans le monde, 8 à 13 millions restent encore à découvrir !!! (4)
Dans cet état des lieux, la France figure parmi les 10 pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées : au total, 1 742 espèces menacées au niveau mondial sont présentes sur son territoire, en métropole et en outre-mer (3).

Les belles paroles de Monsieur Macron charment lors des rencontres internationales. Mais qu’en est-il de la situation dans son propre pays ? À l’échelle régionale, départementale, voire plus locale ?

Ne tuez pas le goéland
Qui plane sur le flot hurlant
Ou qui l’effleure,
Car c’est l’âme d’un matelot
Qui plane au-dessus d’un tombeau
Et pleure… pleure !

Les Goélands (1911) de Lucien Boyer

Pourquoi pleure-t-il, ce goéland ?

Peut-être parce qu’il a eu le malheur de se faire condamner à mort pour avoir grignoté quelques moules ?

En effet, le préfet de la Manche, représentant de l’État nommé par décret du président de la République, a signé le 6 juillet 2021 plusieurs arrêtés autorisant des tirs d’effarouchement et létaux sur des goélands à Chausey mais également sur les zones conchylicoles de Granville, Donville-les-Bains, Bréville-sur-Mer et Coudeville-sur-Mer (5).

“Encore ?!” diront ceux qui ont suivi les combats de Manche-Nature. Et oui, car cela fait plusieurs années que la préfecture autorise ce genre d’arrêtés. Cela a été aussi le cas en 2020 et auparavant. Le 4 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes, sur requête de Manche-Nature, a annulé l’arrêté préfectoral du 22 juillet 2015, autorisant la destruction de 80 goélands argentés, par tirs létaux, sur les concessions conchylicoles de Chausey, constatant l’absence de motivation de la dérogation au regard des strictes conditions d’octroi, fixées par la loi française et l’union européenne (6).

À croire que l’État s’acharne sur ces goélands pour faire plaisir à quelques-uns. Souvenez-vous aussi de cette affaire : par un jugement du 18 juin 2020, le Tribunal administratif de Caen, sur requête Manche-Nature, a reconnu la responsabilité pour faute de l’État, suite à la délivrance répétée d’arrêtés illégaux, autorisant la commune de Granville à procéder à la stérilisation des œufs de goéland argenté, et décidé de la réparation des conséquences dommageables induites par ces illégalités fautives à hauteur de 4 500 € (7).

Mais au fait, sur cette fameuse Liste Rouge de l’IUCN, quel est le statut de ce goéland argenté ?

Il est justement précisé dans les différents avis du CSRPN (Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel) à propos des arrêtés de 2021 (8) : “l’expert Faune délégué par le CSRPN de Normandie pour examiner la demande de dérogation à la législation sur les espèces protégées présentée par le Comité Régional de Conchyliculture (CRC) tient à rappeler que les populations du Goéland argenté connaissent en France métropolitaine et en Europe une forte régression depuis plusieurs décennies, ce qui a amené l’UICN à classer l’espèce dans la catégorie « quasi menacée » (NT), tant dans l’Hexagone qu’à l’échelle européenne. Les dénombrements annuels réalisés par le Groupe Ornithologique Normand (GONm) depuis les années 1980 révèlent une tendance similaire en Normandie avec une stabilisation à un niveau bas depuis 2015.”

De toute évidence, cet expert était frileux à donner un avis favorable comme l’a fait le CSRPN : “avec grande insistance et au risque de ne plus accepter d’en assurer l’évaluation, l’expert réitère sa requête que le dossier de demande de dérogation soit limité aux seuls éléments nouveaux ou actualisés de la situation (inutilité de documents datant de 2001, 2003 ou 2005, ou même de 2013)”.

Est-il besoin de rappeler que ce n’est pas parce beaucoup d’individus d’une même espèce se retrouvent à un endroit précis que cela est le cas partout ailleurs ?

En revanche, il semble important de marteler que ces méthodes d’effarouchements ne sont pas spécifiques ! Les goélands ne sont pas les seuls oiseaux à fréquenter l’estran et que des tirs pourraient effrayer (ruinant ainsi les périodes de repos, voire la saison de reproduction de certaines espèces, puisque les arrêtés des tirs d’effarouchement sont valables pour une année entière, à quelques jours près). Selon le GONm, on trouve à Chausey 243 espèces d’oiseaux différentes (9), parmi les 479 espèces d’oiseaux observables en France. Pourquoi croyez-vous qu’il y ait une ZPS (Zone de Protection Spéciale) de 17 000 hectares dans l’archipel (10) ? De plus, ces tirs, sont-ils vraiment dissuasifs pour les goélands ? Cela reste à prouver. Ils ne craignent pas le bruit de la ville, les promeneurs ou le vrombissement des moteurs pour nicher… Ce n’est pas une espèce connue pour être très farouche. D’après un dossier de la CRC elle-même, les goélands s’accoutument très rapidement aux différentes méthodes d’effarouchement, même les plus atroces, comme celle qui consiste à pendre des cadavres de goélands morts pour effrayer leurs congénères (11).

Malheureusement, les goélands ne sont pas les seuls oiseaux dans le viseur des conchyliculteurs. L’Eider à duvet, en danger critique d’extinction sur la Liste Rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, bien que sur la liste des espèces chassables (une autre aberration !), et la Macreuse noire sont aussi accusées de provoquer des dégâts. D’ailleurs, Monsieur Macron, ne serait-il pas temps de revoir cette liste des espèces chassables pour y retirer les nombreuses espèces menacées ? Et éviter de signer des dérogations à tout-va pour faire plaisir aux chasseurs « traditionalistes » comme vous prévoyez de le faire, créant ainsi une nouvelle polémique en France (12) ?

Si dégâts importants il y a (des études et bilans récents et INDÉPENDANTS seraient les bienvenues, c-à-d pas par le Comité Régional de la Conchyliculture), il appartient aux conchyliculteurs de prendre en compte les aléas liés au milieu naturel, tout en acceptant qu’il y ait des pertes et de trouver les moyens de protection adéquats dans le respect des autres êtres vivants de cet écosystème. Avec des effectifs réduits et en baisse (13) malgré l’importance de ses missions (Monsieur Macron, et si on créait des postes dans l’environnement ?), l’Office Français de la Biodiversité a sûrement mieux à faire que de tirer sur des espèces protégées (14).

On ne peut pas favoriser l’économie au détriment de la biodiversité. Cette stratégie semble stupide, lorsqu’on se rend compte que la biodiversité est l’un des principaux piliers sur lequel repose cette « souveraine économie ». Lors de la cérémonie d’ouverture du congrès de l’IUCN, même une grande banquière, Christine Lagarde, l’a reconnu : “Il n’y a pas de stabilité économique et de stabilité financière sans le respect de la nature et sans la contribution de la nature, parce que nos économies sont dépendantes de la nature, parce que nos économies sont dépendantes de la résilience que nous apporte la biodiversité.” Monsieur Macron, vous étiez présent, et vous avez approuvé ces paroles.

Et puis, ces oiseaux sont-ils la menace numéro 1 pour les moules ? Il y a pourtant d’autres facteurs de pertes, souvent plus importants : maladies, mauvaises conditions météorologiques, pollution de l’eau, parasitisme, mutations génétiques… Prenons la pollution, les conchyliculteurs n’y sont pas indifférents. Ne polluent-ils pas en partie leurs propres élevages avec leur “plasticulture”, terme employé par l’Association de nettoyage au service de l’environnement et du littoral, qui s’occupe notamment de ramasser leurs déchets (15) ? Ce plastique a probablement déjà causé la mort de plus de goélands et autres organismes marins que n’en autorisent les actuels arrêtés préfectoraux. Une étude sur le sujet serait également à envisager,… ainsi qu’une autre sur les dépôts sédimentaires et de déchets organiques issus des élevages conchylicoles… et une dernière sur les impacts environnementaux liés aux déplacements des gros engins et tracteurs de conchyliculture sur l’estran !

Nous ne souhaitons pas éradiquer la conchyliculture, seulement ouvrir les yeux des conchyliculteurs sur l’impact néfaste de certaines de leurs pratiques sur l’environnement et sur leurs propres élevages, plutôt que d’accuser un oiseau qui a le malheur d’être intelligent et opportuniste. Cette capacité d’adaptation rapide du goéland est une chance pour la survie de l’espèce. Beaucoup d’autres espèces n’ont pas eu le temps de trouver de stratégie efficace face aux pratiques prédatrices de l’Homme… D’après l’IUCN, la perte d’espèces est maintenant entre 100 et 10 000 fois plus rapide que le taux d’extinction naturel.

Pourquoi le goéland pleure-t-il ?

Peut-être parce que la 6e extinction de masse n’est pas prise au sérieux à l’échelle locale ? Peut-être parce que dans les paroles du président Macron à l’étranger résonne une certaine hypocrisie au regard de l’application de sa politique environnementale dans son propre pays ?

Comme vous l’aurez compris, MancheNature condamne ces arrêtés préfectoraux de tirs d’effarouchement et létaux sur des goélands argentés. Son combat sur le sujet continue !

Le Bureau de Manche-Nature

Sources

(1) https://www.lefigaro.fr/international/2018/09/26/01003-20180926ARTFIG00325-macron-champion-de-la-terre-pourquoi-ce-titre-lui-est-conteste-par-les-experts.php
(2) Le Président Emmanuel Macron participe au Congrès mondial de la nature de l’IUCN https://www.youtube.com/watch?v=WjPVUTS_F5E
(3) https://uicn.fr/liste-rouge-mondiale/
(4) https://ofb.gouv.fr/actualites/les-especes-en-france
(5) Arrêtés préfectoraux et avis 2021 :
5 0505 17 ap effarouchements chausey 2021 (format pdf – 212 ko – 09/07/2021)
5 0505 18 ap effarouchements cotes de la manche 2021 (format pdf – 216.2 ko – 09/07/2021)
5 0505 19 ap tirs letaux chausey 2021 (format pdf – 226.2 ko – 09/07/2021)
5 0505 20 ap tirs letaux cotes de la manche 2021 (format pdf – 223.3 ko – 09/07/2021)
(6) https://manche-nature.fr/destruction-goelands-a-chausey/
(7) https://manche-nature.fr/sterilisation-des-œufs-de-goeland-argente-a-granville-2/
(8) Avis du CSRPN :
5 0505 17 avis csrpn crc effarouchement chausey 2 (format pdf – 138.9 ko – 09/07/2021)
5 0505 18 avis csrpn crc effarouchement manche 2 (format pdf – 149.6 ko – 09/07/2021)
5 0505 19 avis csrpn crc tir letal chausey 2 (format pdf – 139.2 ko – 09/07/2021)
5 0505 20 avis csrpn crc tir letal manche 2 (format pdf – 139.4 ko – 09/07/2021)
(9) http://www.gonm.org/index.php?post/M04-Chausey-%2850 %29
(10) http://littoral-normand.n2000.fr/les-sites-littoraux-normands/zsc-et-zps-chausey
(11) https://www.pas-de-calais.gouv.fr/content/download/38180/241741/file/CRC%20-%20Dossier%20Go%C3 %A9land%20Pas%20de%20Calais-V2 %20pour%20site.pdf
(12) https://paca.lpo.fr/protection/engagements/actualite/13198-stupefiant-emmanuel-macron-encourage-le-braconnage-des-oiseaux?
(13) https://www.youtube.com/watch?v=6EbBWBUdbyg
(14) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000021386711/
(15) https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/alerte-pollution/alertepollution-dans-la-baie-du-mont-saint-michel-les-plages-sont-envahies-par-le-plastique-issu-des-elevages-d-huitres-et-de-moules_3145643.html

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