Monsieur Binet, le vice-président de la CMB (Coutances Mer et Bocage) a organisé sur six demi-journées (les 21, 22 et 23 juillet) des réunions de secteurs pour faire le point sur les premiers résultats concernant le diagnostic bocage mené dans le cadre de l’élaboration du PLUI qui devrait s’achever à l’horizon 2025. Y étaient conviés en premier lieu le « monde agricole » et les élu.e.s. Manche-Nature a reçu l’information, car, sans doute nous participons depuis quelque temps aux travaux d’élaboration du PLUI.
Nous nous sommes partagé les réunions. Laura a participé aux réunions concernant les secteurs de Cerisy-la-Salle (Françoise de Saussey l’a accompagnée cette fois-là), Saint-Malo-de-la-Lande et Gavray. Alain M. a suivi les réunions de Saint-Sauveur-Villages, Quettreville-sur-Sienne et Roncey.
En introduction de chaque réunion, Monsieur Binet a rappelé le caractère obligatoire de cette étude pour construire le PLUI. Il a insisté à chacune des séances sur le fait que, dans ce cadre, AVRIL est prestataire de services (et non pas partenaire ou interlocutrice NDLR) et que son rôle est de proposer, à partir de l’établissement d’un relevé de l’existant, une méthode pour diagnostiquer l’état des haies.
Le relevé de l’existant
Le technicien embauché en CDD pour l’occasion par AVRIL s’est appuyé sur une cartographie aérienne remontant à 2015 pour inventorier un linéaire sur l’ensemble de la CMB évalué à 8 113 km répartis en 85 300 tronçons, ce qui souligne une certaine discontinuité dans la trame. Il est bien évident par ailleurs que la répartition quantitative des haies est inégale entre les secteurs et les communes.
Cette méthode pour comptabiliser l’existant a ses propres limites.
D’une part le matériel disponible a 6 ans d’existence et chacun admet que, depuis, il y a eu plus de destructions de haies que de créations. La DREAL affirme que 1 800 km de haies disparaissent chaque année dans l’ancienne Basse-Normandie. C’est plus de 600 km de haies détruits chaque année en moyenne pour la Manche et le Conseil départemental fait valoir la construction de moins de cinquante kilomètres par an auxquels il convient ajouter quelques initiatives privées ou collectives sans doute.
D’autre part, il n’est pas possible de juger, à partir de ces photos aériennes de l’état de ces haies. Sont-elles sur talus ? Ont-elles, en parallèle, un fossé ? Par quelles essences sont-elles constituées ? Quelles sont les hauteurs des strates et leur nombre ? Quel est l’état de santé des sujets ? Également, avec l’effet des ombres portées, a-t-on effectivement une haie ou un talus dénudé qui laisse croire à une existence qui n’est plus ?
Il est bien évident qu’il est impossible à partir de ce visionnage d’établir les inventaires flore et faune pourtant indispensable pour qualifier l’intérêt en termes de biodiversité de ce patrimoine recensé d’une façon finalement très aléatoire.
Les études d’impact environnemental ne sont pas qu’une simple formalité !!
Nous savons que les contraintes financières imposées lors de la contractualisation de la prestation de service ont limité drastiquement les études sur le terrain. D’autant que le technicien d’AVRIL n’avait pas l’autorisation de se rendre à l’intérieur des parcelles afin de ne pas contrarier les exploitants de ces terres.
Les limites de cette étude ne sont donc pas de la responsabilité du prestataire mais bien du donneur d’ordre qui cherche avant tout à respecter à minima (voir en dessous ?) l’obligation légale qui lui est imposée pour élaborer les documents du PLUI.
Nous saurons nous en rappeler lors de la consultation publique. Si les études obligatoires en matière d’inventaire de la biodiversité ne sont pas de qualité et ne respectent pas le cadre légal qui leur est opposable et si les règles de préservation des espèces, des linéaires ne nous paraissent pas suffisamment strictes et ne répondent pas aux mesures de protection pour établir les documents établissant le PLUI, nous saurons le dire.
La classification qualitative des haies reste à faire.
Lors des présentations de l’état d’avancement du diagnostic il nous a été indiqué que le travail s’appuie sur un programme informatique qu’utilise la DREAL.
Cet outil permet de mettre en évidence le coefficient de linéarité à l’échelle demandée (la commune, la communauté de communes…) qui repose sur le linéaire constaté au km².
Il permet également d’établir un coefficient de cohérence. Des critères pour qualifier la haie sont transformés en points. Ils prennent en compte :
- Le rôle hydraulique de la haie (son orientation par rapport au sens de la pente, la distance qui le sépare d’un cours d’eau, d’une station de pompage…)
- Son rôle paysager (la distance par rapport aux sites et monuments, aux voies de circulations, aux habitations…)
- Son rôle pour déterminer les trames vertes et bleues (et donc leur continuité)
- Sa place par rapport aux différentes réglementations et zonages (ZNIEFF 1 et 2, Natura 2000, Loi Littoral…)
Coefficient de linéarité, coefficient de cohérence sont sans doute utiles pour qualifier une haie, mais il est tout aussi important de mettre en évidence son intérêt pour abriter non seulement les différents auxiliaires de cultures mais tous les êtres vivants, faune et flore, constituant la biodiversité. Ce rôle dynamique ne peut être reconnu par l’attribution de points, ce qui relativise fortement l’intérêt de l’outil retenu.
La méthode proposée paraît très rationnelle.
Elle permet d’établir un classement des haies en fonction du nombre de points obtenus. Mais elle répond à quels objectifs ?
Est-ce pour améliorer l’existant et renforcer le maillage bocager, bien mis à mal depuis quarante ans ?
Ou est-ce pour ne maintenir que les haies qui cumulent un certain nombre de points, nombre plancher qui sera fixé par une commission à l’échelle de la localité, des secteurs, ou de la CMB. Rien n’est défini pour l’instant : ni le périmètre de la commission ou des commissions, ni sa ou leur composition. Ce qui apparaît en tout cas, c’est que les agriculteurs conventionnels seront prépondérants, selon les dires de Monsieur Binet.
Mais est-ce une méthode si rationnelle ?
La rationalité, au vu de l’état du patrimoine bocager (qui, d’évidence ne lui permet plus d’assumer l’ensemble de ses fonctions), devrait conduire à décider dans l’immédiat un moratoire pour protéger l’existant et des mesures pour renforcer son maillage afin de faciliter les trames vertes et bleues, lutter contre les inondations, favoriser la biodiversité.
D’autant que le bocage a une fonction économique, car il favorise la pollinisation, la vie des auxiliaires pour les cultures, la protection de ces mêmes cultures, le stockage du carbone. Il est source d’énergies non fossiles.
Ce n’est d’évidence pas le choix de celles et ceux qui conduisent le projet du PLUI. Ce n’est pas non plus la préoccupation des représentants de la chambre d’agriculture et du syndicat majoritaire qui ont participé aux différentes assemblées de secteurs.
C’est vrai qu’il est difficile de décréter un moratoire dans l’attente de l’établissement du PLUI, car aucune législation ne permet de l’imposer sauf la volonté des autorités de l’instaurer le temps de l’élaboration du PLUI.
Mais un certain nombre de textes sont protecteurs de la haie. La DDTM sous l’autorité du préfet les a collationnés dans un fascicule « La haie protège, protégeons-la » (édité en juin 2020). Il est de la responsabilité des élu.e.s et des autorités de les faire appliquer en exerçant leur pouvoir de police. Nous avons rappelé à plusieurs reprises l’existence de ce cahier.
Notre initiative d’établir une fiche de signalement lors de travaux sur les haies qui paraissent abusifs, et qui a été tant décrié par les instances majoritaires de la chambre d’agriculture, s’inscrit dans cette volonté de faire respecter ces règlements et d’inviter les acteurs à exercer leurs prérogatives.
Si évaluation des tronçons il y a, quand se fera-t-elle ?
Il semble donc que la méthode choisie est de donner une valeur à chaque tronçon de haie en lui attribuant des points. Cette attribution sera de la responsabilité de cette fameuse commission aux contours encore flous. Elle sera sans doute validée par l’assemblée plénière de la CMB.
Qu’adviendra-t-il d’une haie qui a un rôle hydraulique très important mais qui ne se trouve pas près d’un monument historique, d’une voie de circulation, et qu’elle n’a pas une continuité soutenue ? Elle n’obtiendra pas un nombre de points très important. Figurera-t-elle pour autant dans les documents PLUI comme une haie répertoriée ? Nous pouvons en douter !!
Le regard de la commission à son égard sera sans doute différent selon sa composition. La responsabilité de la gestion et de l’aménagement du territoire ne peut être dévolue aux seuls agriculteurs.
Il en résultera que des tronçons de haie ne bénéficieront pas d’un statut de protection apporté par l’établissement du PLUI. Ils disparaîtront et ils ne feront pas l’objet de mesures compensatoires.
Gageons que cette perspective sera en point de mire pour celles et ceux qui considèrent avec peu d’intérêt les haies et les vivent comme des contraintes. S’ils et elles sont majoritaires dans les commissions nous pouvons être inquiets.
Il serait plus judicieux et plus protecteur que le PLUI prévoit à priori le classement de l’ensemble des haies avecune possibilité de dérogation au cas par cas. Cette option nécessite que le règlement du PLUI prévoit un processus d’instruction avec une commission et une méthode d’évaluation de la haie mise en cause afin de procéder à sa compensation. L’outil proposé par la DREAL trouvera tout son intérêt en y adjoignant la nécessité d’une étude d’impacts pour la biodiversité autant par la destruction que par la compensation.
Manche-Nature continuera à se faire entendre.
Les enjeux d’aménagement du territoire que sous-tendent ces démarches d’élaboration des PLUI sur l’ensemble des territoires définis aujourd’hui par les communautés de communes nous ouvrent de nouvelles responsabilités. L’État se désengage de son rôle d’arbitrage si important même si parfois il est dévoyé.
Ce sont la qualité des règles issues de l’élaboration des PLUI qui seront prépondérantes demain. Ce sont elles qui détermineront comment seront gérés les espaces, la biodiversité, l’hydraulique, les réseaux de communications sur nos territoires avec tous les enjeux de santé publique, de lutte contre le réchauffement climatique, la montée des eaux, le recul du trait de côte…
Les tenants d’une agriculture peu respectueuse de l’écologie et axée sur la productivité à outrance et à court terme ont bien compris les enjeux. Ils étaient bien présents dans ces réunions de secteurs, regrettaient le manque de mobilisation de « leurs troupes » et revendiquent fortement leur prépondérance dans les commissions d’évaluation du bocage.
La représentante de Bio-Normandie leur a fait remarquer lors de la réunion de vendredi matin que l’agriculture était multiforme et que tous les systèmes agricoles devaient être représentés. La technicienne du Conservatoire des Espaces Naturelles disait mercredi après-midi que la ruralité n’appartenait pas qu’aux seuls agriculteurs, et celle du conservatoire du Littoral insistait du rôle tout au cours des processus de la haie pour maintenir un bel état de la biodiversité.
Manche-Nature devra concourir à fédérer ces voix dissonantes mais qui trouvent de plus en plus écho dans la population.
Alain MILLIEN, le 24 juillet 2021.
Ressources sur le bocage manchois:
■ La haie protège, protégeons là – Préfecture de la Manche : Pour connaître la législation concernant les haies.
■ Plan bocage 2017-2021 – Conseil départemental : Le budget du plan bocage pour les plantations a été élevé à 500 000 euros par an
■ Label Haie : sur le lien entre résilience et bocage (tableau en page 7)
■ Cartographie de bocage par photo-interprétation – Dautresire, Université de Caen, 2010 : mémoire sur le bocage et étude chiffrée récente de son évolution
■ Le déboisement et l’aplanissement des pentes par abattage des haies sur talus en milieu bocager – Fourel, Université de Caen, 2019
■ Plantons des haies – L’agriculteur normand : Les programmes de plantation ne compense pas les destructions : seulement 50 km par an contre 680 km qui sont arrachées.
■ Remonter le temps – IGN : Pour comparer l’évolution de notre bocage en photo aérienne, c’est édifiant !
■ Geoportail-urbanisme : Pour rechercher si une haie est protégée ou non
Commentaires sur le guide La haie protège, protégeons-la :
- ce document nous montre à la fois l’étendue de tous les dispositifs de protection des haies – ce qui pourrait nous rassurer – mais aussi toute l’hypocrisie et les insuffisances de ce système de protection, car presque toutes les mesures permettent la destruction après déclaration !
- Pour une protection efficace et étendue géographiquement des linéaires de haies, seule la protection en EBC (espace boisé classé) ou en loi paysage dans le PLUI est proposée !
- Les chiffres sont faux et incomplets. Il ne reste plus 60 000 km car le plan bocage lui-même parlait de 53 000 km en 2000. Aujourd’hui on serait plus sur une fourchette comprise entre 30 et 40 000 km en prenant l’évolution introduite par l’étude de Dautresire, université de Caen. Et sûrement moins si on prend le critère de haies fonctionnelles (trois strates et connectivité) car l’indice de connectivité étant de 50 % environ il ne resterait qu’entre 20 et 30 000 km de haies en relatif bon état ! Ensuite il n’est pas précisé que selon les dernières études on perd environ 680 km de haies par an alors qu’on en replante que 50 km environ à grand renfort d’argent public.