Désherbage des voies,
quand la SNCF pulvérise à tout-va !
Pour assurer la sécurité des circulations, le désherbage chimique et le débroussaillage mécanique sont nécessaires sur les voies et leurs abords. SNCF a mis en place un outil permettant un traitement de la végétation plus performant, et respectueux de l’environnement.
Voilà ce que l’on peut lire sur le site de SNCF-réseau dans un document technique.
D’autre part, en juin 2013 dans le cadre du Plan Ecophyto, la SNCF et RFF ont signé un accord de partenariat portant sur l’utilisation des herbicides sur les voies ferrées avec les différents ministères en charge de l’agriculture, de l’environnement et de la santé.
Mais qu’en est-il du traitement impressionnant qui a été pulvérisé sur plusieurs mètres de hauteur le long de la ligne Caen-Rennes ?
Là, ne sort-on pas carrément du cadre légal et des bonnes pratiques annoncées par la SNCF ?
Les explications de la SNCF
Suite à notre lettre ouverte, nous avons reçu le 16 septembre une réponse de la Directrice territoriale de SNCF-réseau, en voici un extrait :
SNCF Réseau intervient dans ce domaine en tant que gestionnaire d’infrastructure, et utilise des méthodes mécaniques associées à des interventions de débroussaillage chimique pour le traitement des abords, ce qui a été le cas sur la portion de ligne entre Saint-Lô et Coutances.
Ce traitement a été réalisé avec un train désherbeur régional par du personnel habilité et avec l’utilisation de produits homologués épandus au bon dosage. Les deux produits utilisés sont des débroussaillants : ils n’ont aucun effet sur les graminées (produits sélectifs) mais il est normal que leur effet sur des buissons et des jeunes arbres soit visible. Le résultat peut certes paraître spectaculaire, mais il s’explique en raison des bonnes conditions (conditions météo rendant la végétation réceptive aux produits, bon mouillage, c’est-à-dire dilution du produit permettant une bonne répartition du produit sur les feuilles) et que ce sont des produits efficaces. Leur dosage est d’ailleurs totalement maîtrisé.
Pour ce qui est de la biodiversité, ces produits sont homologués pour des usages précis, par exemple la « dévitalisation de broussailles sur pied » dans le cas du 2D-P : l’ANSES a validé que les conséquences étaient acceptables pour les organismes vivants présents pendant la saison autorisée à l’utilisation de ce produit pour cet usage.
Cependant, concernant votre interpellation, nous reconnaissons que le traitement ayant été réalisé de nuit, les opérateurs ont voulu traiter jusqu’aux limites d’emprises et dans ces conditions de travail compliquées, ont aspergé un peu trop en hauteur sur certains endroits. Un rappel des bonnes pratiques leur a été signifié afin d’éviter qu’un épandage trop large ne soit constaté à nouveau.
Commentaires et réflexions
Précisons tout d’abord que ce « désherbage » désastreux ne concerne pas seulement la portion entre Saint-Lô et Coutances, car nous avons des témoignages depuis Le Airel (près de Lison) jusqu’à La Haye-Pesnel.
Deux produits débroussaillants homologués ont été utilisés au bon dosage et dans de bonnes conditions, mais Madame la Directrice Territoriale se garde bien de nommer précisément ces deux produits, cependant vu le paragraphe à propos de l’ANSES l’un d’eux serait du 2D-P.
Le débroussaillant 2D-P contient deux matières actives : le 2,4 D et le Dichlorprop-p.
Il faut savoir que depuis plus d’un an le 2,4-D est classé « cancérogènes ou probablement cancérogènes » par l’OMS et catégorie 2 dans les substances et mélanges chimiques cancérogènes par la réglementation européenne. Cette molécule est également suspectée d’avoir un effet perturbateur endocrinien (« Endocrine disrupting pesticides : Implications for risk assessment », par R. McKinlay, J.A. Plant, J. N. B. Bell, N. Voulvoulis, Environment international vol. 34 issue 2, février 2008).
Effectivement, comme le dit Madame la Directrice, la SNCF utilise un produit efficace !
Son efficacité est due à la nocivité de ses deux substances actives, elles pénètrent par les feuilles et détruisent jusqu’aux racines de très nombreux végétaux ligneux et arbustes, ne respectant que les graminées. Son efficacité redoutable implique justement une très grande prudence dans son utilisation quand on connaît les risques de dispersion et l’impact qu’ils ont sur le milieu naturel et la santé humaine.
Quand on sait tout cela, comment peut-on accepter que ce produit toxique soit « aspergé » de nuit à l’aveuglette ? C’est inadmissible !
Au niveau de la sécurité ferroviaire, cette façon de faire ne risque-t-elle pas en plus de provoquer la chute de branches et peut-être d’arbres morts qui ont reçu ce traitement ? Ce n’est certainement pas le but recherché.
Un épandage abusif non contrôlé
Revenons sur le site de SNCF-réseau, à la page Préservation de la biodiversité et de la qualité des milieux, on nous parle de gestion raisonnée de la végétation. L’objectif affiché est de zéro végétation sur les voies et pistes, garantir une bonne visibilité des signaux sur les bandes de proximité par un traitement chimique sélectif des graminées ou fauchage, et pour les abords limiter le volume et la taille des arbres […] et maintenir une végétation prairiale par un débroussaillage manuel et/ou mécanique et/ou écopâturage.
Mais sur le terrain, trois mois après les faits, on peut toujours constater que la procédure annoncée n’a pas été respectée : de très nombreux arbres des abords de la voie ferrée ont le feuillage grillé sur plusieurs mètres de hauteur. Pourtant, dans les recommandations d’utilisation du pesticide il est précisé : Ne pas appliquer sur des plantes dépassant 1,50 m de hauteur.
Vu l’étendue des zones touchées par pulvérisation, on peut s’inquiéter de l’ampleur de la pollution sur le milieu naturel, les jardins mitoyens, les herbages et la population environnante.
En effet, tout traitement, particulièrement par pulvérisation, occasionne des émissions directes dans l’air suivies d’une dispersion à plus ou moins longue distance sous forme d’aérosols liquides et de fines gouttes : c’est le phénomène de dérive.
Impact sur le milieu aquatique
La SNCF n’est pas seule à épandre des pesticides et son utilisation s’ajoute aux autres sources de pollution venant principalement de l’agriculture intensive, mais, circonstances aggravantes, on peut constater qu’elle ne respecte pas les zones de non traitement (ZNT) par rapport aux cours d’eau. C’est inadmissible !
Si, comme elle l’indique sur son site, la SNCF a utilisé le Système d’Information Géographique pour la Maîtrise de la végétation (SIGMA) associé à des GPS pour respecter les ZNT, c’est très inquiétant pour la fiabilité de ce système, d’autant plus que les zones de non traitement sont déjà très limitées et que les phénomènes de dérive ne sont pas pris en compte dans leurs cartographies.
Pas étonnant que l’on retrouve quantité de traces de pesticides dans les rivières, les nappes phréatiques et jusque dans l’eau du robinet. (Voir les liens en bas de page)
La responsabilité de la SNCF
L’important réseau ferré fait de la SNCF le deuxième propriétaire foncier de France après l’armée et, les voies ayant été construites principalement dans les vallées pour éviter les reliefs, elles se retrouvent très souvent près des cours d’eau et des nappes phréatiques.
La SNCF a fortement réduit sa consommation des produits phytosanitaires, elle est passée, de 400 tonnes de pesticides en 1984 à 108 tonnes en 2012. Cette diminution du tonnage utilisé va évidemment dans le bon sens mais doit être interprétée avec précaution, car la surface traitée est moindre, les produits utilisés sont plus efficaces, mais ils ne sont pas moins nocifs pour l’environnement et la santé humaine.
Le problème de la limitation de la végétation aux abords des voies est complexe, mais il est difficile de croire que les techniques « d’élagage chimique » actuellement utilisées sont compatibles avec une préservation de la qualité des milieux naturels, de la ressource en eau et de la santé humaine.
Le transport ferroviaire, de voyageurs et de fret, reste le moyen le moins impactant sur le réchauffement climatique, à ce titre il peut être considéré comme un mode de transport durable.
Il serait dommage que la gestion de l’entretien des voies vienne ternir cette image.
Avec un regard naturaliste, on peut voir les abords des voies ferrées comme des corridors écologiques, des zones relativement sauvages, des réservoirs de biodiversité… Mais on en est loin si la flore, (graminées, fougères, ronces, arbres et arbustes) et la faune qui en dépendent y sont piégées et empoisonnées par les pulvérisations de pesticides. Imaginons par exemple les effets sur les oiseaux, en pleine saison de nourrissage des poussins, comment peuvent-ils éviter d’être contaminés et d’empoisonner leurs petits ?
Dans les recommandations d’utilisation du pesticide 2D-P, il est précisé :
Ne pas laisser les animaux s’approcher des zones à traiter pendant une période de trois semaines après l’application.
N’est-ce pas inquiétant ?
Notre action
Face à cette pollution évidente, et encouragés à agir par les témoignages que nous avons eu de riverains de la voie ferrée, nous envisageons de saisir le juge d’instruction afin de faire reconnaître les préjudices subis par la Nature et, à travers elle, l’Homme.
Continuez à nous apporter vos témoignages grâce à notre page contact et votre soutien moral et financier. Nous avons besoin de vous pour mener ce combat.
En savoir plus
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