Pointe d’Agon

La dégradation est-elle inexorable ?

On se souvient des travaux catastrophiques du Conservatoire du Littoral, évoqués plusieurs fois sur ce site. Pour rappel, en plein site naturel classé, s’offrait naguère un paysage de charrières et de mielles autour de l’ancienne ferme Bordes. La charrière, habitat de haute valeur patrimoniale, a été transformée en piste cyclable durcie, la voie d’accès à la ferme, large piste sablonneuse avec ornières et végétation rudérale diversifiée, est devenue une avenue empierrée rectiligne, et l’aire de stationnement sauvage, où la nature reprenait ses droits dès que le soir venu les automobiles s’en étaient allées, a l’air d’un parking urbain avec ses allées minérales, ses places délimitées et ses portiques : un scandale et une perte importante, non seulement pour le paysage littoral mais pour la biodiversité. On comprend pourquoi le CdL s’est passé de l’avis de la Commission des sites, qui sait-on jamais aurait pu être défavorable, quand on lit les termes de l’autorisation ministérielle : j’ai l’honneur de vous faire connaître que je suis évidemment favorable à la réalisation du projet susmentionné, qui est pleinement conforme aux objectifs de bonne gestion et de mise en valeur du site classé. En somme, pour le ministère il est normal, « évident » même, que la principale structure de gestion des sites naturels littoraux engage un processus d’anthropisation et de banalisation d’un site, le premier de la Manche en termes de biodiversité. On croit rêver… mais c’est un cauchemar.

Site naturel classé de la pointe d’Agon, aménagements du Conservatoire du Littoral

Le classement d’un site a pour but de préserver sa valeur pittoresque et paysagère

Mais ce n’est pas tout, la dégradation ne fait que commencer. Car, sans doute encouragée par la politique d’aménagement du CdL, la commune a décidé d’aller plus loin et l’idée a germé de prolonger la piste cyclable jusqu’à Coutainville, à travers dunes et mielles jusqu’ici préservées. En son temps, nous avions déjà prévenu le CdL que les charrières de sable des massifs dunaires étaient des habitats d’une grande importance biologique (surtout quand elles ne côtoient pas des cultures maraîchères empoisonnées aux nématicides) et qu’il était impensable d’en modifier la structure ou le substrat. C’est le milieu privilégié d’une foule d’invertébrés fouisseurs qui pour la plupart sont plus ou moins confinés au littoral sableux, araignées, fourmilions, grillons, criquets, punaises, coléoptères, diptères, fourmis, guêpes, abeilles, etc., lesquels sont à la base de la chaîne alimentaire. Transformer ces charrières en pistes de terre durcie, c’est fragiliser cet écosystème psammophile, qui comprend des centaines d’espèces à la pointe d’Agon. C’est aussi augmenter considérablement la fréquentation et donc le dérangement de la faune, notamment les passereaux nicheurs des fourrés.

 

Qui a donné l’autorisation d’éventrer ces fourrés de valeur patrimoniale en site classé ?

Et parlons-en des fourrés ! Il y a quelque temps, de passage dans les mielles, nous avons constaté, entre autres aménagements de clôtures et de ganivelles, qu’un massif important d’arbustes avait été éventré sur plusieurs mètres pour faire passer une piste, alors même qu’il existe déjà un sentier qui le contourne, fréquenté par les promeneurs et les cavaliers. Seraient-ce là les préparatifs de cette voie cyclable qui, telle une voie romaine, doit franchir les obstacles en ligne droite au mépris de la végétation et du relief ? Curieusement c’est précisément dans ces fourrés mixtes de prunelliers, aubépines et ajoncs, qu’a niché il y a quelques années la très rare fauvette pitchou, qui a besoin de fourrés… et de tranquillité ! Dans l’épaisseur de ces buissons, nichent également d’autres fauvettes plus ou moins rares (babillarde, grisette, hypolaïs, locustelle, cisticole…) et aussi le magnifique tadorne de Belon. La richesse de ces dunes tient à l’alternance des différents faciès de dunes fixée et de ces fourrés impénétrables. Que la commune ait pris l’initiative de tels travaux, et qui plus est dans le périmètre d’un site classé, c’est le signe d’une indifférence totale à l’égard de la biodiversité et d’un mépris des lois de protection de la nature, et cela même dans le cas où la commission des sites aurait validé ce projet, le jugeant « évidemment » bénéfique.

Avec la complicité coupable du Conservatoire du Littoral et des élus locaux, nous entrons dans une phase d’aménagement et d’anthropisation du site qui risque de dériver encore selon l’affectation qui sera donnée à l’ancienne ferme Bordes. Après avoir échappé in extremis à un projet de golf ravageur et au plan irresponsable d’arasement de la pointe d’Agon, le site entre dans un processus plus insidieux de verdissement artificiel (quoi de plus écologique qu’une piste cyclable !). Le mal est déjà fait avec les travaux du CdL, validés en haut lieu, et la dégradation est en cours avec ceux de la commune. La biodiversité de ce site naturel exceptionnel (près de 3500 espèces inventoriées à ce jour) n’y résistera pas longtemps.

Articles précédents sur la pointe d’Agon :

Charrières de la pointe d’Agon
Travaux à la pointe d’Agon, la suite…


 

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