La ZAC de la Clémentière à Granville, une vaste extension de l’urbanisation déguisée en « écoquartier »
Le projet
A Granville, le projet immobilier de la zone d’aménagement concerté de la Clémentière prévoit la construction de 786 logements sur une surface de 34,4 ha.
Le projet consiste en une vaste extension de l’urbanisation dans des secteurs agricoles et naturels à proximité du site Natura 2000 de la Baie du Mont-Saint-Michel. Il est situé en grande partie en zone humide (prés humides, talweg) comportant 90 % de prairies naturelles, bordées de haies bocagères et plantées de pommiers pour certaines.
Comment peut-on baptiser « écoquartier », un projet immobilier qui commence par engloutir plus de 34 ha de prairies naturelles, de terres agricoles, d’arbres et de nature ?
Le projet de cette ZAC de la Clémentière est destiné à augmenter l’offre de logements à Granville, mais il s’appuie sur des données anciennes contestables. Les prévisions démographiques sont à la baisse et ce projet s’ajoute aux autres prévus sur les communes voisines, ils seraient donc en concurrence. Le choix d’urbaniser encore les terres agricoles et la mosaïque d’espaces naturels qui s’y trouve n’est pas logique face à la réhabilitation urbaine de plus de 1 300 logements vacants. (Voir page 6 de l’avis motivé du commissaire-enquêteur)
Arrêtons d’artificialiser les terres agricoles et les milieux naturels. Les jeunes agriculteurs et la biodiversité ont besoin de ces espaces.
Au cours de l’enquête publique unique, aucun avis favorable au projet n’a été recueilli parmi les 39 personnes qui se sont manifestées.
Plusieurs commentaires du commissaire-enquêteur méritent d’être rapportés :
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La modestie des mesures mentionnées en matière d’économie d’énergie et de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, révèle un programme immobilier sans doute trop promptement qualifié d’écoquartier.
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La fonction première de la Clémentière est de fournir des logements sur Granville et dans la mesure où des solutions urbaines le permettent dans des conditions équivalentes, je regrette qu’elles n’aient pas engendré plus de considération.
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La réalité de l’utilité publique nourrit des doutes qui n’engagent pas à donner un avis favorable et des incertitudes pèsent sur la justification du projet et sur sa faculté à répondre à une situation de fait.
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Les atteintes à la propriété privée et celles liées à la préservation de l’environnement semblent excessives par rapport à l’intérêt présenté par l’opération.
Le commissaire-enquêteur a rendu un avis défavorable, le 2 février 2015, en raison, principalement, d’une consommation excessive d’espaces qui ne répond pas à des besoins effectifs de logements à Granville.
Malgré l’avis défavorable du commissaire-enquêteur, la préfecture de la Manche a pris, le 17 juillet 2015, un arrêté portant déclaration d’utilité publique les acquisitions et travaux nécessaires à la réalisation de la zone d’aménagement concerté « Écoquartier de la Clémentière » sur la commune de Granville.
La saisine de la justice
Plusieurs raisons justifient la contestation de Manche-Nature de l’arrêté préfectoral portant déclaration d’utilité publique devant le tribunal administratif de Caen :
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L’insuffisance de l’étude d’impact
Les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine doivent être précédés d’une étude d’impact. L’étude d’impact présente entre autre, une analyse de l’état initial de la zone et des milieux susceptibles d’être affectés, une analyse des effets du projet ou encore les mesures prévues pour éviter ou compenser les effets négatifs du projet.
Manche-Nature relève de nombreuses lacunes dans l’étude d’impact, notamment en ce qui concerne l’étude de l’état initial, qui présente de nombreuses incertitudes quant à la présence potentielle d’espèces protégées sur la zone concernée, mais également l’étude des effets du projet sur l’environnement, particulièrement superficielle et théorique, et enfin, concernant les mesures prévues par le pétitionnaire pour éviter ou compenser les impacts du projet, presque inexistantes.
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Le défaut d’utilité publique du projet
De jurisprudence constante, l’utilité publique d’un projet doit être mise en balance avec d’autres intérêts publics, dont la protection de l’environnement.
Or, Manche-Nature conteste l’utilité publique attachée à cette opération en raison des atteintes portées à l’environnement par ce projet, qui excèdent les avantages qui pourraient découler d’un tel projet. En effet, comme l’a souligné le commissaire enquêteur dans son avis « la modestie des mesures mentionnées en matière d’économie d’énergie et de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, révèle un programme immobilier sans doute trop promptement qualifié d’écoquartier » avant de conclure que « les atteintes à la propriété privée et celles liées à la préservation de l’environnement semblent excessives par rapport à l’intérêt présenté par l’opération ».
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La violation des dispositions de la loi Littoral
C’est enfin en raison de la violation des dispositions de la loi Littoral que Manche-Nature a décidé d’intervenir.
Les différents milieux qui composent cette zone sont un refuge pour la biodiversité animale et végétale, par exemple pour les amphibiens. Ils abritent notamment la grenouille verte et la grenouille agile, toutes deux espèces protégées (comme tous les amphibiens). Ce site doit être considéré comme un espace remarquable du littoral sur lequel seuls des aménagements légers sont autorisés. La construction de 786 logements ne peut évidemment pas être considérée comme un aménagement léger.
De plus, le projet constitue une extension certaine de l’urbanisation et ce, en absence de continuité avec l’urbanisation existante (urbanisation diffuse et hameaux aux alentours qui ne peuvent être considérés comme une urbanisation existante au sens des dispositions du code de l’urbanisme).
Enfin, en espace proche du rivage, l’extension de l’urbanisation doit être limitée. Or, ce projet sur 34,4 hectares ne constitue pas une extension limitée de l’urbanisation.
Ce projet fait aussi l’objet d’une autorisation au titre de la police de l’eau. Cette autorisation a été délivrée malgré les lacunes du dossier de demande sur l’analyse des incidences du projet sur le milieu aquatique, et surtout en l’absence de justification de sa compatibilité avec l’ensemble des orientations fondamentales du schéma directeur d’aménagement et de gestion de l’eau Seine-Normandie. Manche-Nature envisage de contester également cette autorisation devant le Tribunal administratif de Caen.