Fauche printanière

Un grave problème pour la biodiversité :
la fauche précoce des bermes et talus

Actuellement, on parle beaucoup des ravages causés par l’usage généralisé des poisons déversés par l’agriculture productiviste. Une autre pratique est très dommageable à la biodiversité et à la qualité paysagère : la fauche printanière des bermes et des talus. Certes depuis quelques années, chacun a pu remarquer les progrès accomplis sur les routes départementales et nationales où seule une bande étroite de sécurité est entretenue, les plantes herbacées étant libres de s’épanouir sur la surface restante. Mais ces routes sont très minoritaires. Sur le réseau routier secondaire, qui est très dense dans notre département, et le long des chemins vicinaux, l’entretien est généralement beaucoup plus radical. Dès le mois de mai, les premières apiacées ont à peine eu le temps de fleurir qu’elles sont déjà fauchées. Le plus souvent la totalité de la berme est rasée et avec elle le talus en pente qui la jouxte. Cette pratique, qui représente un investissement important, est catastrophique pour la biodiversité et transforme nos charmantes routes bocagères en un sinistre réseau de voies désertiques, sans fleurs, sans insectes, sans oiseaux.

Ce triste constat est d’autant plus navrant quand on parcourt des sites naturels de qualité ou des chemins de grande randonnée. Un exemple : nul ne peut plus ignorer la richesse biologique et pittoresque du havre de Regnéville, nos publications sur ce sujet ayant été largement diffusées. Dans le marais de Tourville, une petite route carrossable permet de longer le havre. Elle est très empruntée par les promeneurs et les cyclotouristes. À la limite avec la commune d’Agon, s’étend une roselière. C’est l’embouchure de la Siame. Sur les bermes et les talus, avant l’intervention des machines, la flore est très diversifiée et elle est fréquentée par une foule d’insectes, lesquels sont la proie d’un important cortège d’oiseaux plus ou moins strictement insectivores, certains rares et dépendants de la zone humide. Citons l’hirondelle de cheminée, le pouillot véloce, le traquet pâtre, le pipit farlouse, le pipit des arbres, la cisticole des joncs, la bouscarle de Cetti, la locustelle tachetée, le phragmite des joncs, la rousserolle effarvatte, la gorgebleue à miroir, la bergeronnette printanière et bien d’autres. Pour les usagers qui traversent le site en famille, c’est un plaisir d’entendre les chants des passereaux et de circuler entre des talus fleuris. Aucun impératif de sécurité ou de gestion agricole n’oblige à un entretien aussi radical. Une seule fauche tardive en fin de saison serait suffisante et permettrait à la fois de respecter la biodiversité et de garantir au public un environnement naturel agréable. Les photographies parlent d’elles-mêmes : qui a envie de se promener dans un pareil paysage ? Et comment dès lors les espèces insectivores peuvent-elles trouver leur nourriture ? D’ailleurs les effectifs diminuent d’année en année et parmi la liste de passereaux cités ci-dessus, plusieurs manquent à l’appel cette année.

Cette petite route borde le site exceptionnel du havre de Regnéville. Or non seulement la berme est fauchée en totalité mais également le talus ! Une fauche d’1 m de largeur le long de la chaussée serait amplement suffisante.

Le fait de laisser la végétation monter au printemps pour le bonheur de tous ne gênerait nullement la récolte des céréales.

Ce tronçon de route mène au marais, il ne dessert aucune exploitation, une bergerie ayant été détruite à cet endroit. Après la fauche, totalement injustifiée, il ne reste plus la moindre fleur ni le moindre insecte alors qu’à droite on aperçoit une roselière où vivent de rares passereaux insectivores.

L’exemple de la commune de Tourville-sur-Sienne est malheureusement monnaie courante. Dans la Manche, des centaines de communes ont des pratiques similaires, souvent dans des sites d’une grande richesse naturaliste. Or dans un département où les petites routes sont innombrables, les bermes et talus représentent une immense réserve de biodiversité, d’autant plus que les prairies naturelles ont à peu près disparu ! Cette situation ne peut plus durer. Nous devons inciter les élus à réfléchir à des méthodes plus respectueuses de la nature.

Alain Livory

Share Button
Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés