Barrages sur la Sélune

Arasements des barrages de la Roche-qui-Boit
et de Vezins :
Faut-il choisir entre la préservation du climat et celle de la biodiversité ?

Un message émanant d’une personne se réclamant du collectif « il est encore temps » a circulé fin mai sur les réseaux sociaux. Il appelle à la mobilisation contre l’arasement des barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, arguant de « l’incohérence de la destruction de la plus grande réserve d’eau du département qui produit(sait) de l’énergie renouvelable… Comment bien entamer la transition (énergétique ?) et la résilience avec une telle hérésie (?) ».

Barrage de la Roche-qui-Boit

L’autrice semble soit particulièrement mal informée, soit, plus grave, elle oppose la lutte contre le réchauffement climatique – qui passe effectivement et notamment par la valorisation des énergies renouvelables – à la préservation et la restauration de la biodiversité dont les urgences ne sont plus à prouver.

Rappelons que le démantèlement de ces deux barrages s’inscrit dans un programme de restauration de la continuité écologique et de la qualité des eaux de la Sélune et de ses affluents et plus globalement de la baie du Mont-Saint-Michel qui est en site Natura 2000. Ces deux objectifs sont non seulement prioritaires vu les dégradations constatées tant au niveau local que global mais leur réalisation est une obligation légale encadrée tant par les textes européens que nationaux.

L’engagement des travaux d’arasement a été pris en 2009, confirmé en 2012, renvoyé à une nouvelle étude en 2014 puis, à nouveau, confirmé en 2017, chacun-e des ministres successifs(ves) tenant à priori à marquer de son empreinte ce projet.

L’enquête publique en 2014 se concluait par un avis favorable, forte de 4 589 opinions exprimées dont 53 % soutenait le projet.

La contre-expertise (services des ministères de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique) demandée par Madame ROYAL, ministre de l’énergie (et de l’écologie) « considère comme pertinents techniquement les éléments de la décision ministérielle de 2009 pour le démantèlement des barrages ». Elle conclut « qu’il est impossible de répondre aux exigences de qualité des eaux et de libre circulation des espèces migratrices en conservant les barrages… La situation impose en conséquence de choisir entre les deux objectifs qui apparaissent non conciliables sur la Sélune : la production hydro-électrique, ou la restauration de la biodiversité et du bon état écologique » (page 7 du rapport).
Le même rapport souligne la vétusté des ouvrages – La roche-qui-Boit (1919) et Vezins (1932), les défauts d’étanchéité qui seront croissants, les coûts et les risques des vidanges décennales. En 1993, la vidange mal menée a conduit à des conséquences catastrophiques pour la biodiversité et la qualité des eaux. Il rappelle que la production d’énergie des deux ouvrages est faible (0,04 % de la production hydroélectrique nationale – page 7 du rapport).

Barrage de Vezins

Manche-Nature, qui a rejoint le collectif « Les Amis de la Sélune », s’est prononcée pour l’arasement de ces barrages. Il lui paraît aberrant d’opposer le recul nécessaire du réchauffement climatique à la restauration de la biodiversité et de la qualité de l’eau. D’autant que ces ouvrages participent au réchauffement climatique avec les masses d’eau qu’ils retiennent.

La Sélune et ses affluents, ainsi artificialisés, ont perdu leur capacité naturelle d’épuration des matières polluantes qui transitent dans leurs cours avant d’être entreposées dans les retenues des barrages. Les poissons, au-delà de leur intérêt propre, sont marqueurs de la bonne santé des eaux et de l’écosystème et participent par leur rôle de filtre à la reconquête de la qualité de l’eau.

Selon l’Agence de l’eau, d’ici 2100, l’évapotranspiration augmentera de 23 %, alors que les précipitations diminueront de 12 %, le débit de cours d’eau de 23 % et la recharge des nappes d’environ 30 %. Les pollutions seront donc plus concentrées. De plus la température des eaux de surface augmentera de 2 %, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la biodiversité actuelle, du moins ce qui en reste. C’est pour ralentir ces deux phénomènes, qu’il faut supprimer les obstacles qui ralentissent les cours d’eau afin de ne pas renforcer leur réchauffement.

En conclusion, la destruction de ces deux ouvrages doit conduire à une réflexion socio-économique autour de la gestion environnementale de la « nouvelle » vallée de la Sélune. Le développement d’une agriculture, d’une industrie, d’activités tertiaires devra être respectueux de la biodiversité, et structurer un aménagement du territoire en harmonie avec la nature. Et puis, faut-il rappeler que la meilleure économie énergétique est celle qui en maîtrise l’utilisation et qu’il y a urgence désormais à restaurer la qualité des eaux pour préserver un bon niveau de santé publique ?

C’est cette approche que défendent nos représentants-es dans les différentes instances de consultation dans le Sud Manche et du Pays de la Baie.

30 mai 2019
Alain MILLIEN

Téléchargez le PDF du rapport :

Expertise du projet d’effacement des ouvrages de Vezins et la Roche-qui-Boit sur la Sélune

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