Épisode 1
Le mouvement des marées, inéluctablement modifié par les effets du réchauffement climatique, provoque une montée du niveau des eaux entre 20 et 50 cm d’ici à 2050/2100, donc accentue l’érosion dunaire.
L’effet le plus remarquable et le plus médiatique est celui de l’immeuble du Signal sur la commune de Soulac-sur-Mer (ou sous mer d’ici quelque temps) en Gironde.
Mais ces mêmes effets sont aussi notables sur la côte Ouest du département de la Manche et tout aussi inéluctables.
D’ailleurs les plans de prévention des risques littoraux se mettent en place progressivement dans le département, il est possible de les consulter sur le site de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer.
Les élus littoraux prennent bon an mal an des mesures temporaires et de ralentissement des effets de l’érosion dunaire, notamment par des géotubes ou gros sacs de sable, comme à Gouville (voir photos) mais aussi à St-Jean-le-Thomas.
Le problème est que dans les zones dunaires ces équipements sont soient recouverts soient altérés par les effets des marées, des tempêtes, constituant une pollution non négligeable des mers qui le sont déjà largement assez et ils ne constituent qu’un ralentisseur.
Il sera donc nécessaire de suggérer aux « utilisateurs » de ce domaine fragile de se retirer à l’intérieur des terres.
La question qui vient immédiatement à l’esprit des « utilisateurs » c’est indemnisation au titre du fonds dit « Barnier » en vertu de l’article L561-1 du Code de l’Environnement, aux termes duquel L’État peut déclarer d’utilité publique l’expropriation des biens exposés aux risques prévisibles de mouvements de terrain, ou d’affaissement de terrain dus à une cavité souterraine ou une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à une montée rapide ou de submersion marine menaçant gravement des vies humaines.
Mais point d’érosion dunaire dans le dispositif de cet article, d’où la saisine par le Conseil d’État du Conseil Constitutionnel sous la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité, posée par le syndicat du Signal (sus-cité) qui a confirmé dans sa décision n° 2018-698 du 6 avril 2018, le contenu et le dispositif de l’article L561-1 du Code de l’Environnement.
En conséquence pas d’expropriation, pas d’indemnisation, ni par le fonds Barnier et encore moins par la « solidarité nationale » à savoir les contribuables.
Or c’est précisément ce qu’est venu prôner le sénateur manchois Philippe Bas à Gouville, où il dit se rendre toutes les trois semaines, pour constater les effets des retardateurs à l’érosion dunaire, en précisant (article Ouest France du 17 avril 2018) qu’il « avait fait voter une loi pour que les fonds Barnier puissent servir au financement de ces actions » ?
Une question réflexion simple qui ment ou se vante : le Conseil Constitutionnel ou Philippe Bas ?
Ce dernier pensant encore vouloir faire modifier la loi littoral, alors qu’une consultation sur l’ensemble des littoraux du pays, organisée par le Ministère de la Transition Écologique, vient de se terminer dont les conclusions doivent être publiées en fin d’année.
Ceci n’empêche pas par ailleurs, nos élus locaux, qui prétendent et se plaignent d’avoir de moins en moins d’argent, d’organiser par le biais de 4 communautés de communes dont Granville Terre et Mer, une consultation « Notre Littoral pour Demain » à l’effet d’anticiper les conséquences du changement climatique sur le littoral et le rétro littoral sur la façade Ouest Cotentin de Flamanville à Granville. Cette tâche a été confiée à un groupe de 3 bureaux d’études dont les citoyens que nous sommes aimeraient connaître le montant de la somme allouée à ce groupe ?
Ce qui est intéressant c’est que le public est consulté, mais pas avec les élus (on ne mélange pas les torchons et les serviettes, dès fois qu’en plus on ne soit pas aimable avec ces édiles ou pseudos édiles). De ce fait à Granville nous étions une quarantaine, un seul élu participant, moyenne d’âge 65 ans. Cela intéresse vraiment !
Nous vous en dirons en peu plus lors de la présentation de la synthèse des réunions.
Épisode 2
Dans le premier épisode, nous avions rappelé la visite du sénateur Philippe BAS, président de la commission des lois au Sénat, sur la commune de Gouville-sur-Mer, et surtout le fait : « qu’il « avait fait voter une loi pour que les fonds Barnier puissent servir au financement de ces actions » ?
Sauf que ledit sénateur est allé un peu vite en besogne, puisque un projet de loi émanant du Sénat a bien été déposé le 16 février 2018 afin d’instaurer un régime transitoire d’indemnisation pour que le fonds de prévention des risques naturels majeurs indemnise les propriétaires soumis à une interdiction définitive d’habiter ou d’occuper les lieux en raison du risque de recul du trait de côte.
Mais ce projet ne sera examiné au Sénat que le 16 mai 2018 en séance publique.
Compte tenu des examens ensuite à l’assemblée et du fonctionnement de la navette parlementaire, il y a fort à parier que le texte définitif se fasse attendre.
Mais il est intéressant de constater que deux conditions devraient être appliquées :
- Le montant de l’indemnisation ne devrait pas dépasser 75 % de la valeur estimée du bien.
- Les faits devront être intervenus avant le 1er janvier 2017 à l’exception des immeubles dont les permis de construire auront été délivrés par le maire au nom de la commune en vertu d’un plan d’occupation des sols ou d’un plan local d’urbanisme.
Ce projet devrait bien évidemment s’appliquer à l’immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer.
Or dans une décision n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018, suite à une question prioritaire de constitutionnalité posée par le syndicat secondaire Le Signal, le Conseil Constitutionnel a validé les dispositions du premier alinéa de l’article L 561-1 du Code de L’environnement étaient conformes à la constitution, excluant donc du bénéfice à l’indemnisation les faits dus à l’érosion dunaire provoquant un recul du trait de côte.
Que dit ce premier alinéa de l’article L 561-1 du Code de l’Environnement :
« Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l’article L. 2212-2 et à l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu’un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l’État peut déclarer d’utilité publique l’expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s’avèrent plus coûteux que les indemnités d’expropriation. »
Compte tenu des nombreux cas d’érosion dunaire sur le littoral Ouest du département de la Manche on comprend l’empressement du sénateur Bas.
Les conditions du projet :
– Pourquoi 75 % de la valeur estimée du bien ? C’est difficile à soutenir, car si l’on prend justement le cas de l’immeuble du Signal, la valeur est d’environ moins 300.000 € à savoir le coût de la démolition et de l’évacuation des gravats (dont certains amiantés vu la date de construction de l’immeuble).
– Pourquoi exclure les biens construits en vertu d’un permis de construire délivré par le maire en application d’un POS ou d’un PLU pour des faits intervenus avant le 1er janvier 2017.
Or c’est précisément le début de l’élaboration des plans de prévention des risques littoraux, dont certains sont déjà approuvés dans le département de la Manche. (Voir le site de la Préfecture à jour sur ce point).
En tout état de cause cela promet de belles bagarres d’experts (voir de pseudos experts) en immobilier, sachant que peu sont compétents en la matière notamment les agences immobilières, les services des domaines…
La consultation du public uniquement sur internet organisée par le ministère de la transition écologique sur les littoraux vient de se terminer. Un projet de loi Littoral bis devrait émerger de ce travail qui en tout état de cause boutera les projets successifs présentés soit par les sénateurs soit par les députés dits « républicains » mais qui s’appuiera sur les plans de préventions des risques littoraux.
Ce projet devra tenir compte inévitablement du recul du trait de côte et renforcer la protection du littoral et plus particulièrement l’ensemble des sites classés, zones protégées, en ne tolérant aucune dérogation, ni aucun manquement au respect des textes et décisions de justice.
Épisode 3
Beaucoup ont encore en mémoire les effets de la tempête Xynthia qui provoqua la mort de 29 personnes rien qu’à la Faute-sur-Mer en Vendée.
En première instance le maire de la commune avait été condamné à 4 ans de prison ferme.
En avril 2016, la cour d’appel de Poitiers a ramené la condamnation à deux ans avec sursis pour homicides involontaires.
De plus, les juges d’appel s’étaient déclarés incompétents sur les demandes de réparations des parties civiles, du fait que les fautes du maire n’étaient pas détachables de sa fonction d’élu.
Il faut ajouter que le parquet n’a pas formé de pourvoi contre cet arrêt rendant la condamnation pénale définitive.
Les parties civiles se sont donc pourvues en cassation et, le 2 mai 2018, la cour de cassation a rejeté le pourvoi des parties civiles, confirmant le jugement d’appel en ce que les manquements du prévenu (le maire) ne constituaient pas une faute personnelle.
D’ailleurs le président de l’association des victimes a déclaré, entre autres, à l’AFP ce qui suit : « Le message qu’on voulait avoir, c’était un message de sécurité, de prévention. Ce n’est pas le cas. On laisse faire les maires demain pour bâtir en zone inondable. La punition n’est pas assez sévère »
Pour mémoire, il faut rappeler que les parties civiles ont obtenu devant le Tribunal Administratif de Nantes, la condamnation de l’État, de la commune de la Faute-sur-Mer et de l’association de protection de la digue, afin de réparer le préjudice d’angoisse de mort subi par les requérants.
C’est pourquoi il appartient à tout un chacun de s’informer, mais aux professionnels d’informer, lorsqu’ils vendent un bien en zone à risque littoral.
Mais il faut aussi être clair et précis sur le littoral Manchois, nombre de permis de construire, ou d’aménager, n’auraient jamais du être délivrés, et ces décisions de justice ne vont pas rassurer les imprudents acquéreurs.
La limite de ces inconséquences, incompétences est atteinte et il est à craindre que l’État fera jouer la solidarité nationale au détriment du contribuable lambda qui devra supporter le prix de ces inconséquences et incompétences, inadmissible, purement inadmissible.
Épisode 4
Quelques organes de presse en ont parlé, mais rien dans ceux de grande « audience » pour l’instant, relatif à l’amendement n° CE2235 présenté et voté le 9 mai 2018 à l’assemblée nationale par un panel de députés LR, et M. Ferrand et les membres du groupe La République en Marche, et ce dans le cadre de la loi ELAN (évolution du logement de l’aménagement et du numérique) en discussion à l’assemblée.
Les députés ont fait fort puisque par ce biais ils ont damné le pion aux députés et aux sénateurs qui avaient déposé des projets de loi de modification de la loi littoral permettant notamment le comblement des « dents creuses ».
C’est subtil et bien joué même si cet amendement va devoir suivre la navette parlementaire habituelle, et il est à redouter que les sénateurs ne s’y opposent pas à commencer par les Manchois Bas et Bizet, malheureusement.
Avant de commenter le propos voici le texte voté et le dispositif :
« I. – Le code de l’urbanisme est ainsi modifié :
« 1° L’article L. 121‐3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le schéma de cohérence territoriale peut, en tenant compte des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, préciser les modalités d’application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121‐8, et en définit la localisation.
2° L’article L. 121‐8 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées lorsqu’elles n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par leur densité et leur caractère structuré. »
II. Les dispositions du I sont applicables à compter du 1er janvier 2020. Jusqu’au 31 décembre 2019, lorsque le schéma de cohérence territoriale n’a pas localisé les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations qui n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées dans ces secteurs avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.
III. À l’article L. 121‐8 du code de l’urbanisme, après les mots « et villages existants », sont supprimés les mots « ,soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».
Voici un extrait de l’exposé sommaire accompagnant ce texte :
Il est encore proposé de répondre aux demandes relatives à la possibilité de densifier les formes urbaines intermédiaires entre le village et l’urbanisation diffuse, soit la problématique du comblement des « dents creuses » dans des territoires fortement marqués par une urbanisation dispersée. Il s’agit de consacrer un secteur « intermédiaire », entre le village/agglomération et l’urbanisation diffuse, dans lequel une certaine constructibilité est explicitement permise, et d’inscrire cette faculté dans le projet de territoire porté par le SCOT. Les SCOT peuvent d’ores et déjà proposer des critères d’identification des villages et des agglomérations, qui peuvent être densifiés et étendus. Cette disposition leur permettra, demain, de déterminer les critères d’identification d’« espaces intermédiaires » (entre le village et le diffus) qui pourront être densifiés. Par ailleurs, ces secteurs devront se caractériser par une certaine densité et leur caractère structuré et seront ensuite délimités à la parcelle par le PLU.
En conséquence et en vue d’une application au 1er janvier 2020 qui va nécessiter une mise à jour des documents d’urbanisme (SCOT – PLU – PLUi), il est précisé que les demandes de constructions et d’installations devront être autorisée par l’autorité administrative compétente après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.
Quid alors de l’avis de la Commission Départementale de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers, compétente en la matière, on se demande pourquoi il n’a pas été prévu.
Par ailleurs, il n’y a aucune définition juridique ou géographique des « dents creuses » ce qui promet des recours donc une jurisprudence abondante pour les plus éclairés et informés, et du tout et n’importe quoi pour beaucoup d’autres, à commencer par ces élus avides de bétonner un peu plus le littoral au mépris des risques dus au réchauffement climatique, cités plus haut dans mon article.
Décidément tous les coups sont permis pour malmener la loi littoral qu’il serait préférable de renforcer plutôt que de l’amoindrir.
À croire que les évènements récents n’aient pas appelé un peu plus de discernement et de réflexion de la part des élus, de la commune jusqu’au sommet de l’État.
Joël BELLENFANT