Un site littoral menacé par un projet portuaire

Aperçu sommaire d’un territoire littoral
menacé par un projet portuaire :
le secteur Sainte-Marie dans le havre de Portbail

 

Carte de situation de Portbail (Manche, France)

Carte de situation de Portbail (Manche, France)

L’association d’étude et de protection de la nature Manche-Nature m’a demandé, en tant qu’expert, de présenter sommairement le secteur de Sainte-Marie qui fait l’objet d’un projet portuaire dans le havre de Portbail (département de la Manche). Ce havre est le deuxième, en partant du nord, d’une série de 8 estuaires entrecoupés de massifs dunaires et de promontoires rocheux, ensemble d’une richesse naturelle exceptionnelle, unique en Europe. L’avis que je peux donner s’ajoute à beaucoup d’autres :

  • – Le secteur est presque entièrement inclus dans une « Zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique » de type 1. Ces inventaires scientifiques délimitent en France des secteurs particulièrement intéressants au plan écologique caractérisés par la présence d’espèces ou de milieux rares. La notice de la zone énumère les éléments les plus remarquables parmi la flore vasculaire et les oiseaux.
  • – L’étude commandée par le Conseil général de la Manche en 2003 au CPIE détaille les richesses du secteur de Sainte-Marie en habitats, flore et oiseaux. Elle insiste sur la présence des espèces protégées, elle conclut que le projet ne saurait se réaliser sans grave dommage à la biodiversité et qu’il se heurtera à de nombreuses contraintes juridiques.
  • – En 2009, le Conseil scientifique régional de Basse-Normandie a donné son avis à la demande du préfet de la Manche : il y réaffirme le grand intérêt naturaliste de ce secteur et confirme la présence de 10 habitats d’intérêt communautaire (européen) et insiste sur l’extrême rareté de l’habitat « haut schorre à frankénie lisse et petite lavande ». Le Conseil scientifique rappelle également que ce secteur est un élément naturel essentiel au fonctionnement hydrosédimentaire qui est à l’origine des différentes successions végétales présentes. Il signale également l’existence d’un reposoir de limicoles qui confère au site une valeur ornithologique.
Le havre de Portbail vu des dunes de Lindbergh

Le havre de Portbail vu des dunes de Lindbergh

Une nouvelle énumération des richesses menacées par ce projet portuaire n’est donc pas nécessaire. Je voudrais seulement en donner un bref aperçu et prendre quelques exemples accompagnés d’images et de commentaires, aidé en cela par la longue expérience que j’ai acquise des milieux littoraux du département de la Manche.

Situation du projet de port sur le secteur Sainte-Marie

Situation du projet de port sur le secteur Sainte-Marie

Les habitats

Sur une surface relativement réduite (environ 800 m sur 500 au plus large), le secteur concentre une extraordinaire mosaïque de milieux littoraux : deux habitats de « slikke », sept faciès différents de prés salés selon la durée d’immersion et la composition végétale, trois types de dunes (mobile, fixée, boisée), plus quelques zones anthropisées ! Cette juxtaposition est d’un intérêt écologique majeur. L’habitat « haut-schorre à frankénie », seule localité dans le havre de Portbail, est inscrit à la liste rouge des phytocoenoses du littoral français. Quant aux dunes fixées, habitat Natura 2000 qualifié de prioritaire, ce sont parmi les milieux européens les plus riches en biodiversité, notamment sur le plan botanique et entomologique. Quelques photos prises en début de printemps : 

La flore

Ce secteur abrite une espèce protégée au niveau national, la poacée nordique Elymus arenarius, en limite de distribution dans ce département, et deux petites espèces protégées au niveau régional, la discrète brassicacée Hymenolobus procumbens qui pousse à la limite des dunes et des prés salés, et la très rare Frankenia laevis. Trois autres plantes ont des récoltes réglementées par la loi, une est qualifiée de rarissime en Basse-Normandie, 5 sont très rares et 6 sont rares ! Cette magnifique diversité floristique disparaîtrait totalement en cas de réalisation du projet d’agrandissement portuaire. En voici quelques exemples en images. Dans le département de la Manche, ces espèces ne croissent que sur le littoral, qu’elles soient halophiles, psammophiles ou calcicoles. 

Les oiseaux

Les estuaires de la côte Ouest ont une importance primordiale pour les oiseaux migrateurs et hivernants. Le secteur Sainte-Marie est évidemment indissociable de l’ensemble du havre et il participe à son fonctionnement. Particulièrement remarquable est l’existence d’un reposoir à marée haute pour les limicoles et les laridés. De très nombreuses espèces ont été observées dans ce havre. Parmi les plus significatives, on peut citer la bernache à ventre pâle Brantis bernicla hrota, qui hiverne régulièrement, le harle huppé Mergus serrator, l’aigrette garzette Egretta garzetta, le faucon émerillon Falco columbarius, le busard Saint-Martin Circus cyaneus, le chevalier arlequin Tringa erythropus, l’avocette Recurvirostra avosetta, le petit pingouin Alca torda, la très rare linotte à bec jaune Carduelis flavirostris, la mouette mélanocéphale Larus melanocephalus. Quelques espèces parviennent à nicher sur les marges dunaires ou dans les fourrés, en particulier le traquet pâtre Saxicola torquata et l’hirondelle de rivage Riparia riparia

Les invertébrés

Aucune expertise n’a pris en compte les invertébrés sur le secteur précis de Sainte-Marie. Il est évident que la diversité des habitats et de la flore garantit qu’un grand nombre d’invertébrés seraient identifiés. Le massif dunaire resté naturel situé sur l’autre rive du havre de Portbail, connu sous le nom de Dunes de Lindbergh, a été étudié par moi-même en 2010 afin d’y recenser les invertébrés. Pas moins de 532 espèces ont pu être recensées. Les habitats y sont certes un peu différents mais ce résultat donne une indication sur les potentialités du site menacé. D’ailleurs, des relevés ponctuels ont permis de reconnaître 4 espèces de coccinelles, 3 espèces d’orthoptères, un cortège de 4 gastéropodes thermophiles et même plusieurs insectes de valeur patrimoniale comme la mante religieuse Mantis religiosa (très rare dans la Manche), l’écaille chinée Euplagia quadripunctaria ou encore le sphécide typiquement psammophile Bembix rostrata

Le projet portuaire anéantirait la totalité de ce site littoral de grande valeur et indissociable du havre de Portbail. La sauvegarde de l’intégralité de ces milieux littoraux, véritables réserves de biodiversité, est désormais une priorité pour la planète.

Alain Livory

Les photos sont de l’auteur, sauf indication contraire.
 

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