Érosion marine et élévation du niveau des mers

Après la refonte complète de notre site Internet, nous souhaitons aujourd’hui remettre en avant un article que nous avions publié en décembre 2008 sur notre ancien site. Ce texte est toujours d’actualité après les catastrophes comme celle liée à la tempête Xynthia en 2010 et tous les travaux qui ont été entrepris dans l’urgence l’hiver dernier pour parer aux risques de la « marée du siècle » du 21 mars 2015.

Les bulldozers n'ont pas arrêté la mer à Blainville-sur-Mer en 2008 !

Les bulldozers n’ont pas arrêté la mer à Blainville-sur-Mer en 2008 !

Érosion marine et élévation
du niveau des mers

Nous vivons actuellement une période d’élévation du niveau de la mer, commencée depuis longtemps mais dont le rythme est accéléré par l’activité humaine planétaire. Cette élévation est la conséquence du réchauffement et du dérèglement climatiques qui sont eux-mêmes le résultat de la croissance des émissions de gaz à effet de serre. Les principaux responsables sont, non pas l’industrie comme on pourrait le penser, mais l’agriculture et surtout le secteur des transports. Quelle que soit d’ailleurs l’origine de ce phénomène et quelles que soient les mesures susceptibles d’être prises par les décideurs politiques, cette remontée de la mer est inéluctable et rien ne l’enrayera avant de longues décennies. La question qui se pose est donc : faut-il lutter à tout prix contre cette force « naturelle » ?

La manière de poser la question nous semble au cœur du problème. Jusqu’à présent en effet, du moins à l’époque contemporaine, les hommes sont parvenus dans certaines conditions, aux Pays-Bas par exemple, à contenir les assauts de la mer et ont acquis dans ce domaine un savoir-faire indéniable, parvenant même à gagner du terrain sur la mer (polders). Cette confiance dans les performances de la technologie a été tellement assimilée par la conscience collective que les politiques ne demandent pas aux scientifiques s’il faut lutter contre la mer mais COMMENT lutter ?

Certains bureaux d’études sont devenus des experts sur les méthodes à proposer : épis rocheux, digues, enrochements, chenalisations… Les travaux s’avèrent-ils inefficaces ? Qu’à cela ne tienne, on renforcera l’enrochement, on construira un nouvel épi pour protéger la cale, une digue pour protéger la digue. Chaque structure entraînant des conséquences imprévues, de nouveaux travaux sont toujours envisagés. Le cycle infernal de l’intervention humaine n’a pas de fin.

Mais direz-vous, si vous êtes opposés à ce type d’intervention, que préconisez-vous pour sauver du naufrage notre beau littoral avec ses dunes, ses marais, mais aussi ses campings, ses stations balnéaires séculaires ? On ne peut tout de même pas laisser ce patrimoine partir à la mer !

Bien que l’homme ait imprudemment construit sur le front de mer et qu’il continue de le faire, nous admettons qu’il est légitime de vouloir préserver le plus longtemps possible d’importantes agglomérations telles qu’Agon-Coutainville ou Hauteville-sur-Mer, pour prendre des exemples sur des côtes particulièrement sensibles. Ces stations devront sans doute, dans les décennies à venir, renforcer leurs protections actuelles et, très probablement, les prolonger sur leurs flancs afin d’éviter le contournement. Mais un jour viendra où le coût exorbitant de ces travaux obligera les hommes à abandonner la partie. Il faut en être conscient et préparer l’avenir.

Mais quand il s’agit de zones naturelles, ces ouvrages sont inacceptables et le plus souvent d’ailleurs illicites :

— Ils modifient le fonctionnement naturel du littoral, en particulier le mouvement marin ou éolien des sédiments. Alors qu’ils prétendent protéger des milieux, ils aggravent souvent l’érosion et appellent d’autres ouvrages pour les renforcer. Ils introduisent par exemple sur les côtes sableuses des espèces de côte rocheuse jusqu’alors inconnues qui déséquilibrent l’écosystème.

— L’impact paysager est catastrophique, la libre circulation sur les plages est entravée par des lignes d’enrochements ou d’épis perpendiculaires à la côte, les dunes et les marais sont défigurés par des amas rocheux ou des matériaux hétéroclites. Une dune qui recule reste malgré tout une dune. Elle n’a pas le même profil, elle peut même perdre une partie de sa flore et de sa faune, notamment les espèces qui sont inféodées à la dune embryonnaire et à la dune mobile. Le cordon dunaire peut même disparaître sous les assauts répétés de la mer. Mais ce phénomène a toujours existé dans un contexte d’érosion. L’histoire géologique est faite d’avancées et de reculs. Ailleurs, ce sont au contraire de nouvelles dunes qui se forment sous l’effet d’un bénéfice sédimentaire. Tant que des agglomérations ne sont pas directement menacées, il est absurde de prétendre enrayer ce processus. Et sur nos côtes justement nous en avons deux exemples édifiants :

  • À Blainville, le cordon dunaire va disparaître et la mer va retrouver comme jadis le chemin du marais. Bien sûr, quelques cabanes ont été sacrifiées et les dernières disparaîtront, mais l’apparence du havre reste naturelle. Il serait inepte de le défigurer par de monstrueuses digues.
  • À la pointe d’Agon au contraire, la sédimentation va bon train : la flèche sableuse s’allonge et les bancs qui se forment ont une immense valeur pédagogique, paysagère et biologique. Dans le contexte général d’effondrement de la biodiversité, le projet actuel d’arasement de ces formations naturelles est irresponsable. (NDLR : à ce jour, ce projet ne semble plus d’actualité)
La dune mobile progresse à la pointe d’Agon

La dune mobile progresse à la pointe d’Agon

— Ces travaux coûtent très cher ainsi que les études qui prétendent les justifier. Ce coût, assumé par le contribuable, est d’autant plus important par ses effets indirects : travaux inefficaces voire nuisibles (l’exemple le plus évident est celui de la digue basse de Montmartin), risque de poursuites judiciaires en cas de site protégé ce qui est très souvent le cas et d’astreintes financières en cas de condamnation. Enfin et surtout, l’appauvrissement du milieu en termes écologiques et les irrémédiables dommages paysagers ont des conséquences négatives sur la fréquentation touristique.

Les raisons de ne pas intervenir sur des sites naturels l’emportent donc largement. Nous sommes responsables, nous les hommes du monde développé, du réchauffement climatique et de ses effets néfastes. Au lieu de lutter avec acharnement contre un phénomène inéluctable, essayons plutôt d’anticiper ses effets prévisibles. Cessons d’implanter de nouvelles constructions sur le littoral, cessons de construire des cales d’accès qui sont autant d’obstacles à la dérive littorale, sachons accepter la modification de l’aspect naturel des côtes.

Face au changement climatique planétaire et aux phénomènes météorologiques dévastateurs qu’il entraîne, il est temps de réfléchir de façon globale. Plutôt que de concevoir des aménagements d’efficacité douteuse, il est bien plus judicieux de prévoir une indemnisation des biens à chaque fois que leur valeur est moindre que les coûts des travaux de « protection » et de leur entretien. Le PLU de chaque commune littorale devrait repousser suffisamment loin du rivage les zones constructibles.

Pendant des années, l’érosion marine a été combattue par une politique d’inspiration militaire de type ligne Maginot. Mais au niveau international, la réflexion a fait son chemin et une idée beaucoup sage tente de s’imposer : le repli programmé. Il s’agit de bien peser les enjeux en présence et, aussi souvent que possible, de reculer les installations en dehors des zones à risque. L’Angleterre a pris les devants en mettant en pratique cette solution de bon sens sur plusieurs sites menacés où des digues ont été supprimées. De même, à Criel-sur-Mer (76), plusieurs familles, face à l’érosion de la falaise, ont été expropriées et relogées plus loin.

Bien sûr, les mentalités doivent évoluer car quelques biens seront perdus, cabanes, constructions isolées, campings imprudemment implantés dans les dunes… mais c’est l’intérêt général qui doit prévaloir, celui du contribuable, qui préférerait voir l’argent public mieux utilisé, celui des usagers, qui recherchent un littoral authentique, celui enfin de la biodiversité, enjeu majeur de notre époque.

Pour Manche-Nature : Alain Livory, Philippe Scolan et Xavier Braud
Décembre 2008

Les dramatiques pertes humaines liées à la tempête Xynthia ont mis en évidence les erreurs du passé en ce qui concerne les aménagements sur le littoral. Les esprits ont été fortement marqués et la prise de conscience est de plus en plus forte.

Localement, on peut noter par exemple le projet «LiCCo» piloté par le Conservatoire du littoral qui accompagne les populations côtières pour comprendre, se préparer et s’adapter aux effets du changement climatique, de l’élévation du niveau de la mer et de l’érosion sur leur littoral.

De son côté, la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) travaille à l’élaboration du PPRL (Plan de prévention des risques littoraux) et multiplie les réunions d’information et l’indispensable travail pédagogique.

L’urgence est de limiter au maximum l’élévation globale de la température, espérons que la COP 21 aboutira à l’adoption d’un premier accord universel et contraignant sur le climat. Mais, vu l’inertie du système climatique, il est indispensable d’avoir une vision à long terme et de changer notre rapport au littoral en arrêtant en premier lieu de construire sur les zones à risque.

Pour en savoir plus…

eurosion.org

coastalpractice.net

Érosion marine, les réponses par Alain Miossec

La crise des plages : pénurie de sédiments par Roland Paskoff

Le littoral français face à la crise climatique : s’adapter ou lutter contre la mer ?

Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie :
Un quart du littoral recule du fait de l’érosion
La submersion marine et l’érosion côtière
5e rapport du GIEC

Conservatoire du littoral :
Littoral et changement climatique : subir ou s’adapter ?
LiCCo Littoraux et Changements Côtiers
Réseau d’observation du littoral normand et picard

Propositions pour une stratégie nationale de gestion du trait de côte, du recul stratégique et de la défense contre la mer, partagée entre l’État et les collectivités territoriales rapport public d’Alain Cousin

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