Des emplois mais à quel prix ?

Les abattoirs AIM vont être modernisés pour envoyer nos productions de viande porcine en Chine.

À l’heure d’une grave crise environnementale et climatique qui menace nos sociétés et compromet largement la vie des générations futures, nous ne pouvons que nous indigner face à la reprise des abattoirs AIM de Sainte-Cécile par un projet désastreux pour l’environnement. Car si celui-ci permet de créer des emplois, il s’agit d’une entreprise soutenue par des capitaux chinois et tournée vers l’exportation de viande porcine française vers les marchés asiatiques, ce qui va avoir des conséquences dramatiques pour nos territoires.

Du « greenwashing » pour tenter de camoufler un désastre écologique à venir

La modernisation dont le coût est estimé à 16 millions d’euros ne va servir, avec son vernis écologique à grand renfort de panneaux solaires et de technologies soi-disant « vertes » – mais consommant quantité de minerais – qu’à masquer la réalité d’un projet destructeur et totalement irresponsable : l’abattoir prévoit ainsi d’exporter 7 500 porcs congelés par semaine vers la zone Asie-Pacifique dont une partie viendrait également de porcheries bretonnes. Voyons ensemble les conséquences de cette installation. L’association Manche-Nature souhaite alerter sur le danger de ce type d’investissements externes, s’apparentant à une prédation sur les entreprises, sur les terres agricoles, sur les forêts, au détriment des paysans et des consommateurs. C’est le cas dans de nombreux pays qui ont ainsi vu leur souveraineté alimentaire gravement remise en cause. En plus d’encourager un modèle d’élevage intensif qui a déjà fait ses « preuves », comme le montre les ravages en Bretagne et l’impasse actuelle dans cette région, ces exportations vont rejeter d’énormes quantités de Gaz à Effet de Serre (G.E.S) par le transport de cette viande porcine à l’autre bout du monde. Cela est en opposition totale avec nos engagements internationaux avec l’accord de Paris de 2015 sur le climat. Les scientifiques rappellent que nous rejetons dans le monde 50 Gt de CO2 par an et que nous devons passer sous la barre des 15 Gt pour rester sous la barre des +2 °C. Cette limite de la température mondiale définie par les experts est le seuil à ne pas franchir pour rester dans un monde viable. Si rien n’est fait, elle atteindra entre +4 °C et +7 °C en 2100, rendant la vie sur terre quasiment impossible. Rappelons que la France est le 4ᵉ émetteur de CO2 en Europe. Un kilo de viande porcine équivaut à 12,1 kg de CO2, mais la société responsable du projet peut-elle nous dire quel est le bilan carbone total d’un cochon abattu en Normandie ayant mangé du soja brésilien et exporté en Chine ? Il serait peut-être plus judicieux de suivre la récente convention pour le climat qui recommande de « faire muter notre agriculture pour en faire une agriculture durable et faiblement émettrice de G.E.S, basée sur des pratiques agroécologiques ».

Localement, une très lourde facture à long terme

A l’échelle locale, l’ouverture au marché asiatique de la production de viande porcine normande va favoriser l’agrandissement d’élevages intensifs existants et l’implantation de nouvelles exploitations hors-sol, artificialisant davantage les terres et accélérant la mise en culture de nouvelles parcelles toujours accompagnée de l’arrachage de haies. On assiste ainsi à « l’ élargissement du maillage bocager alors que de nombreuses prairies sont retournées pour cultiver du maïs, des céréales ou des oléoprotéagineux. » avec, sur le secteur de l’intercommunalité, une augmentation de « 92 % de surfaces affectées aux céréales entre 2000 et 2010 » alors qu’elle n’est que de 27 % pour les exploitations de la Manche (source : Terragri). Nous perdons actuellement 1 000 km de linéaires par an dans notre département(source : plan bocage du conseil départemental), ce qui va à l’encontre de la « Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » du 9 août 2016.

Aucune protection ne permet de freiner cette destruction sur le secteur, sauf le classement en EBC (Espace Boisé Classé) dans un PLUI (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal), mais cette protection est déjà contestée par le diagnostic agricole fait par la chambre d’agriculture pour la consultation du PLUI et disponible sur le site de Villedieu intercom. C’est une aberration qui va nous coûter cher en terme environnemental mais aussi économique : moins d’espèces « auxiliaires », perte de la protection contre les inondations et les tempêtes, etc. De même, la qualité paysagère se dégrade, qu’en pensent les acteurs de tourisme ? Sur le secteur de Villedieu, il ne reste que 1,9 % de forêts et de milieux naturels (source : Terragri).

Répandant nombreux produits chimiques sur une rotation blé/maïs et épandant davantage encore de lisiers, ces pratiques polluent les eaux de nos rivières et littoraux avec une forte eutrophisation et le développement d’ algues vertes. Ainsi les 2/3 du territoire de Villedieu intercom sont classés « zone vulnérable » dans le cadre de la Directive Nitrates. Qui paiera la facture ? Encore l’argent public ? La France est pointée du doigt par l’UE pour sa mauvaise qualité de ses cours d’eau.

Pour nourrir les porcs, ces élevages importent également du soja brésilien (souvent OGM) dont la culture a participé à la déforestation de la forêt amazonienne, dernier « poumon » de la planète. Le rythme de la déforestation actuelle équivaut à la superficie de 200 terrains de football par heure. La France importe deux millions de tonnes de soja brésilien par an. Rappelons qu’un seul kilo de cochon issu d’un élevage industriel nourri de cette façon représente l’équivalent de 6 000 litres d’eau ! Enfin, cette production va encourager la construction de méthaniseurs qui posent de graves risques industriels et environnementaux. Tous ces agrandissements et ces installations sont d’ailleurs de plus en plus contestées et aggravent les tensions entre le monde agricole et les citoyens (comme lors des enquêtes publiques pour les élevages de La Lucerne et de St-Planchers).

Alors qu’il existe des solutions écologiquement soutenables et économiquement satisfaisantes

Nous dénonçons tout d’abord l’application stricte de la directive européenne qui, pour des raisons de sécurité et de normes sanitaires, a engendré la fermeture des petits abattoirs : il n’en reste que 3 dans la Manche dont deux en difficulté. Au-delà des préoccupations environnementales, les expériences de faillites, comme le groupe Reward en Indre en 2019, ou de ruptures de contrat, comme le distributeur chinois Synutra avec la coopérative normande des Maîtres Laitiers du Cotentin en 2018, devrait inviter nos élus à plus de prudence dans leurs choix d’ouverture au marché chinois…

Il y a d’autres possibilités de créer des emplois en Normandie de façon beaucoup plus pérennes et responsables, en créant un cercle vertueux qui profite à la fois à l’environnement et à la société. La demande en produits de qualité, bio et/ou locale, en circuit court explose ; il existe une vraie demande des consommateurs. À l’échelle de la région Normandie, 10 % des agriculteurs pratiquent la vente en circuit court, contre 18 % à l’échelle de la France métropolitaine. Pourquoi ne pas destiner cette unité à l’abattage de viande locale de qualité pour une consommation régionale ? Choisir de pérenniser les vieux modèles productivistes basés sur une vision court-termisteayant conduit aux crises actuelles est du non-sens. Les élus devraient le réaliser tant qu’il est encore temps d’agir…

Manche-Nature

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