Il ne fait pas bon être blaireau dans la Manche !

Par arrêté préfectoral du 10 juin 2015, la chasse au blaireau par « vénerie sous terre » est autorisée à partir du 15 mai l’année prochaine.
Cela revient à autoriser cette chasse pour une durée de 4 mois et demi en plus de la période de chasse générale : le blaireau est donc chassable, comme cette année et les années précédentes, du 15 mai au 15 janvier par vénerie sous terre et à tir du 27 septembre à fin février. Sur une année, il ne reste donc que 2 mois et demi de tranquillité à ce mammifère sauvage !

Le blaireau n’est pourtant pas classé dans les animaux nuisibles en France, mais pas protégé pour autant comme dans plusieurs pays voisins. Bien qu’il ne soit pas comestible, il est classé « gibier », il est donc reconnu chassable. Il n’est tué ni pour sa chair, ni pour sa peau, mais simplement pour « réguler » sa population selon les chasseurs.
L’animal étant principalement nocturne, il peut être tué non seulement à tir mais également par la vénerie sous terre. Cela consiste à aller traquer le blaireau dans son terrier avec des chiens spécialisés puis, après déterrage et capture, à le tuer.

Voici quelques images du blaireau dans la Manche. Instants rares captés grâce à la patience et le sens de l’observation de deux photographes animaliers, Céline Lecoq et Lilian Sineux. (cliquez sur les photos pour les afficher en grand)


Malgré cette possibilité de chasse pendant la période officielle, le préfet peut prendre un arrêté pour anticiper l’ouverture de la vénerie sous terre à partir du 15 mai. C’est ce qu’il se passe depuis plusieurs années dans la Manche.
Cette décision ayant une incidence sur l’environnement, la législation demande qu’il y ait une consultation du public avant quelle ne soit prise (Art. L. 120-1 du Code de l’Environnement).

Vous avez dit consultation du public ?

Et comment sait-on qu’une telle consultation est faite ? Eh bien, il faut aller chercher sur le site de la préfecture, dans l’onglet « publications », à la rubrique « Annonces et avis »…
Pensez-vous que les associations agréées de protection de la nature comme la nôtre soient averties ? Bien sûr que non ! Et peut-on s’abonner à cette rubrique pour être prévenu ? Pas davantage.
La démocratie a encore des progrès à faire !
Moderne, cette consultation se fait par mail mais les documents mis à disposition sur le site de la préfecture pour que chacun puisse juger du bien fondé du projet d’arrêté sont insignifiants.

Pourquoi un tel arrêté ?

La note de présentation de cette consultation est des plus restreintes et le projet d’arrêté ne renseigne pas davantage. On y apprend que la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune sauvage a émis un avis favorable (pas étonnant, vu sa composition !) et que la fédération départementale des chasseurs également. Mais à aucun moment on ne parle des motivations qui amènent à une telle décision !

Notre participation

Bien que tardivement, nous avons appris l’existence de cette consultation grâce à la liste de diffusion « Obsnorm » et nous avons pu in extremis envoyer notre avis sur la question.

Monsieur le Préfet de la Manche

Nous tenons à nous opposer fermement au projet d’arrêté prévoyant d’autoriser la destruction des blaireaux dans le département de la Manche en pleine période de reproduction.
Le blaireau n’est pas classé dans les espèces nuisibles en France, il est même protégé chez nos voisins européens (Belgique, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse). Il est classé « gibier » et peut être chassé pendant la période d’ouverture de la chasse, ce qui nous semble déjà aberrant. Autoriser en plus sa chasse et son déterrage à partir de la mi-mai sans démontrer scientifiquement le but de cette action nous paraît tenir d’un raisonnement d’un autre temps complètement révolu.
Permettre à des équipes de déterrage de se livrer à une véritable chasse-loisir, durant une période de fermeture générale de la chasse n’est pas digne d’un pays qui se prétend « civilisé ».
Nous sommes également surpris du peu de publicité qui a été faite pour cette consultation publique et la mise en parallèle avec la scandaleuse couverture médiatique de La Manche Libre (9/05/2015) qui dramatise à l’extrême le rôle prétendu néfaste de nos mammifères carnivores sauvages avec en gros titre sur la une : « Ils nous envahissent » et ne laisse la parole qu’aux seuls chasseurs-piègeurs nous désole au plus haut point. Où est l’avis des instances publiques comme la DREAL, l’ONCFS et celui d’associations reconnues comme le Groupe Mammalogique Normand ?
Le blaireau, comme tous les autres animaux, a sa place dans les différents écosystèmes du département et participe pleinement au maintien de la biodiversité.
En tant qu’association agréée d’étude et de protection de la nature nous vous demandons de ne pas céder aux pressions des chasseurs-piègeurs et de prendre en compte l’intérêt général en veillant au respect de notre patrimoine naturel.
Recevez, Monsieur le Préfet, nos salutations les meilleures.

Nous avons pu dénicher la « Synthèse des observations recueillies lors de cette consultation du public » (disponible ici, si elle venait à disparaître et dans le sens de la lecture…) rédigée par le service Environnement de la DDTM. On y apprend que 31 avis ont été formulés, ce n’est pas mal, vu le peu de publicité qui a été faite. Un tableau classe les remarques formulées sous 7 rubriques différentes et met en parallèle les décisions et motifs appliqués à chacune. Verdict : aucune remarque n’est prise en compte.

« Circulez, il n’y a rien à voir ! ». Mais à quoi peut bien servir cette consultation publique ?

L’arrêté final

L’arrêté est-il plus explicite que le projet initial ? Guère plus…
On y trouve juste quelques justifications très floues et non étayées :

  • Considérant que le blaireau est communément répandu sur l’ensemble du territoire départemental de la Manche, et que cette population semble actuellement en augmentation régulière,

Normal, il fait partie intégrante de notre faune sauvage et a su s’adapter à la forte fragmentation de son habitat. Mais sur quels chiffres ou études peut-on dire qu’il « semble » en augmentation ?

  • Considérant les dommages importants causés localement par les blaireaux, notamment aux activités agricoles et aux ouvrages hydrauliques (digues),

Si certains individus causent des dégâts « localement », pourquoi s’en prendre à tous les blaireaux du département ?

  • Considérant que la chasse contribue à la régulation des populations de gibier, et qu’elle constitue de ce fait un moyen de prévenir ou contenir les dommages évoqués ci-dessus,

Argument imparable si les dommages ne sont pas seulement « évoqués » mais avérés !

  • Considérant que dans la Manche, les jeunes blaireautins sont généralement sevrés au 15 mai, et donc que l’ouverture de la vénerie du blaireau à partir de cette date ne contrevient pas aux dispositions de l’article L 424-10 du code de l’environnement,

En agissant dès cette date, la famille entière est tuée.

On se rend compte qu’un tel arrêté est pris uniquement pour satisfaire quelques chasseurs qui ne veulent pas attendre l’ouverture générale de la chasse pour se livrer à leur loisir (?) favori.
Comme le dit l’adage populaire : qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.
Malheureusement pour lui, c’est le blaireau qui en fait les frais.

Pour en savoir plus

Sur le site de l’ASPAS
Le Journal de l’Environnement
L’article sur le blaireau européen sur Wikipedia
Lire « la guerre aux blaireaux : sport national en France » (page 4)

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